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Veuillez excuser ce terrible griffonnage, mais je suis si pressée. Toujours votre nièce dévouée.


La reine Victoria au vicomte Palmerston.


Château de Windsor, 14 novembre 1840.

La Reine accuse réception de la lettre de lord Palmerston de ce matin ; elle l’a lue avec grande attention. La Reine se bornera à faire quelques observations sur différens points, qu’elle désire signaler à l’attention de lord Palmerston. La Reine le fait avec une stricte impartialité, ayant eu de nombreuses occasions d’entendre les deux opinions sur cette question si embrouillée et si hautement importante.

Tout d’abord, la Reine est frappée de ce que, même si M. Thiers a réclamé à grands cris, si haut, la guerre, la Reine ne peut croire qu’il l’ait fait au degré où le pense lord Palmerston, — une pareille crise, une fois provoquée dans un pays comme la France, où le peuple est à peu près le plus excitable qu’il y ait, ne saurait être très facilement maîtrisée ni enrayée. La Reine pense qu’on le verra bien ultérieurement.

Secondement, il est une autre remarque de lord Palmerston sur laquelle la Reine ne peut davantage être tout à fait d’accord avec lui : le Gouvernement français n’affirmerait qu’une révolution intérieure est possible, si on ne l’aide pas, que pour obtenir de nouvelles concessions en faveur de Méhémet-Ali. La Reine ne prétend pas nier que ce péril n’ait été un peu exagéré ; mais, quoi qu’il en soit, ce danger existe, à un certain degré, et la situation du roi des Français et du Gouvernement actuel n’est pas des plus aisées. On ne peut pas non plus compter sur la majorité : beaucoup de députés, qui ont voté contre Odilon Barrot, ne voteraient pas en d’autres occasions pour le ministère Soult-Guizot.

Troisièmement, le danger de guerre est aussi, sans aucun doute, exagéré, ainsi que l’effectif des troupes françaises. Mais lord Palmerston devrait se souvenir combien les Français sont belliqueux : une fois montés, ils n’écouteront pas les calmes raisonnemens de ceux qui désirent la paix ou songent aux grandes chances qu’ils courent de perdre à la guerre, mais ils penseront seulement à la gloire et à l’insulte qu’il faut venger, comme ils disent.