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cela aille bien au-delà, car la fureur contre l’Angleterre s’accroît, et un des points que je regrette le plus, c’est que tout notre peuple est persuadé que l’Angleterre veut réduire la France au rang de puissance secondaire, et vous savez ce que c’est que l’orgueil national et la vanité de tous les peuples. Je crois donc bien urgent que la crise actuelle se termine bientôt pacifiquement. Plus je crois que l’union de l’Angleterre et de la France est la base du repos du monde, plus je regrette de voir susciter tant d’irritation entre nos deux nations. La question est de savoir ce que veut véritablement le Gouvernement anglais. J’avoue que je ne suis pas sans crainte et sans inquiétude à cet égard, quand je récapitule dans ma tête tout ce que lord Ponsonby a fait pour l’allumer et tout ce qu’il fait encore. Je n’aurais aucune inquiétude si je croyais que le Gouvernement suivrait la voix de sa nation, et les véritables intérêts de son pays, qui repoussent l’alliance russe et indiquent celle de la France, ce qui est tout à fait conforme à mes vœux personnels. Mais ma vieille expérience me rappelle ce que font les passions personnelles, qui, prédominent bien plus de nos jours que les véritables intérêts, et ce que peut le Gouvernement anglais pour entraîner son pays, et je crains beaucoup l’art de la Russie, ou plutôt de l’empereur Nicolas, de captiver, par les plus immenses flatteries, les ministres anglais, preuve lord Durham. Or, si ces deux gouvernemens veulent ou osent entreprendre l’abaissement de la France, la guerre s’allumera, et pour mon compte alors, je m’y jetterai à outrance ; mais si, comme je l’espère encore, malgré mes soupçons, ils ne veulent pas la guerre, alors l’affaire de l’Orient s’arrangera à l’amiable, et le cri de toutes les nations fera de nouveau justice de toutes ces humeurs belliqueuses et consolidera la paix générale, comme cela est arrivé dans les premières années de mon règne. »

Je crois avoir raison de vous citer ces extraits, écrits par le Roi avec tout son cœur : ils montrent la manière dont il envisage aujourd’hui la situation. Peut-être aurez-vous l’amabilité de lire ces lignes, ou de les faire lire à lord Melbourne. C’est cet abaissement de la France, qu’ils ne peuvent plus avaler. Chartres[1] a tout à fait le même sentiment, et le refrain est : Plutôt périr que de souffrir cette ignominie !

  1. Ferdinand, duc d’Orléans, qui mourut le 13 juillet 1842.