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viens aujourd’hui profiter de la faveur qu’elle a bien voulu m’accorder.

Je viens de recevoir aujourd’hui la nouvelle de la réponse de la Russie à l’ultimatum de Vienne, et avant d’avoir manifesté mon impression à qui que ce soit, pas même à Walewski, je viens la communiquer à Votre Majesté pour avoir son avis.

Je résume la question. La Russie accepte tout l’ultimatum autrichien, sauf la rectification de frontière de la Bessarabie et sauf le paragraphe relatif aux conditions particulières qu’elle déclare ne pas connaître. De plus, profitant du succès de Kars, elle s’engage à rendre cette forteresse et le territoire occupé en échange des points que nous possédons en Crimée, et ailleurs.

Dans quelle position allons-nous nous trouver ? D’après la convention, l’Autriche est obligée de retirer son ambassadeur, et nous, nous poursuivons la guerre ! Mais dans quel but allons-nous demander à nos deux pays de nouveaux sacrifices d’hommes et d’argent ? Pour un intérêt purement autrichien et pour une question qui ne consolide en rien l’Empire ottoman.

Cependant, nous y sommes obligés et nous ne devons pas avoir l’air de manquer à nos engagemens. Nous serions donc placés dans une alternative bien triste, si l’Autriche elle-même ne semblait pas déjà nous inviter à ne point rompre toute négociation. Or, en réfléchissant aujourd’hui à cette situation, je me disais : Ne pourrait-on pas répondre à l’Autriche ceci : La prise de Kars a tant soit peu changé nos situations ; puisque la Russie consent à évacuer toute l’Asie Mineure, nous nous bornons à demander pour la Turquie, au lieu de la rectification de frontières, les places fortes formant tête de front sur le Danube, telles que Ismail el Kilia. Pour nous, nous demandons, en fait de conditions particulières, l’engagement de ne pas rétablir les forts des îles d’Aland et une amnistie pour les Tartares. Mon sentiment est qu’à ces conditions-là, la paix serait très désirable ; car sans cela je ne puis m’empêcher de redouter l’opinion publique quand elle me dira : « Vous aviez obtenu le but réel de la guerre, Aland était tombé et ne pouvait plus se relever, Sébastopol avait eu le même sort, la flotte russe était anéantie, et la Russie promettait non seulement de ne plus la faire reparaître dans la Mer-Noire, mais même de ne plus avoir d’arsenaux maritimes sur toutes ses rives ; la Russie abandonnait ses conquêtes dans l’Asie Mineure, elle abandonnait son protectorat dans les principautés,