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a témoigné le désir d’y voir notre ministre, M. Regnault. M. Regnault a évidemment demandé à Paris ce qu’il devait faire ; on lui a répondu d’aller à Rabat. La réponse ne pouvait être différente. Malgré tous les torts qu’il a eus envers nous, nous ne connaissons pas d’autre sultan qu’Abd-el-Aziz, et, dans l’ignorance où nous étions de ses dispositions actuelles, comment aurions-nous hésité à nous mettre en rapports avec lui, puisque l’occasion s’en présentait ? M. Regnault est donc allé à Rabat où il a été fort bien reçu. Le Sultan et les hommes de son Maghzen qui l’accompagnaient ont multiplié leurs protestations de sympathie et de confiance ; ils avaient autrefois méconnu la France, mais ils étaient bien revenus de leur erreur ; ils comptaient désormais sur elle ; ils ne voulaient rien faire sans elle ; ils voulaient tout faire avec elle. Et, pour le prouver, ils nous ont tout de suite demandé de l’argent, car ils en avaient le besoin le plus urgent : sans argent, sans nous, qu’allaient-ils devenir ?

On a trouvé, paraît-il, le moyen de leur faire avancer un certain nombre de millions par une banque française. Nous ignorons comment on s’y est pris, l’Acte d’Algésiras n’autorisant le Maghzen qu’à faire des emprunts publics en dehors de la Banque d’État, et il ne s’agit évidemment pas ici d’un emprunt public. Mais passons. Cette réserve faite, nous ne critiquons pas l’acte accompli : il faut seulement prévoir qu’après ces premiers millions, on nous en demandera d’autres, toujours d’autres, et que, sans doute, nous ne pourrons pas en fournir par le même moyen autant qu’on nous en demandera. Mais enfin, voilà qui est net, nous avons confiance dans la bonne foi du Sultan et nous lui facilitons le moyen de se tirer d’affaire ; soit, à la condition que, cela fait, nous le laissions s’en tirer à lui tout soûl. Nous lui avons donné du solide : était-il bien utile d’y ajouter du superflu ? M. Regnault lui a passé autour du cou le grand cordon de la Légion d’honneur qu’il n’avait peut-être pas encore très sérieusement mérité, et, poussant encore plus loin la vivacité de ses coquetteries, il lui a passé au doigt une bague avec un brillant. Trop est trop, comme dit un vieux proverbe. Abd-el-Aziz a pu croire que nous avions grandement besoin de lui pour le traiter ainsi après tout ce qu’il a fait, et, s’il en a conclu qu’il nous entraînerait très loin à sa suite, nous ne saurions dire qu’il ait manqué à la logique. Mais peut-être ne sait-il pas que nous y manquons quelquefois, et éprouverait-il de fâcheuses surprises s’il comptait sur nous à l’excès, comme il a d’ailleurs compté sur d’autres. Il n’en est pas moins vrai qu’assistant de loin aux entretiens de Casablanca, dont nous n’apercevions que les gestes, nous