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délations, de suspicions et d’exécutions, sont Clément de Ris et ses amis Chalmel et Texier-Olivier. Ils se désignent ainsi eux-mêmes à la rancune et aux représailles de Senard. Sa vanité blessée ne leur pardonne pas d’avoir dit qu’il avait surpris ses pouvoirs du Comité de sûreté générale. Son ressentiment contre Tallien, coupable d’avoir, en mainte circonstance, arraché des prévenus à la prison et des victimes à l’échafaud, retombe sur Clément de Ris. Sourdement il exploite contre lui et l’envie qui s’attache à la richesse, et le mécontentement de certaines gardes nationales que, par crainte de les voir lâcher pied ou pactiser avec les Vendéens, Clément de Ris avait fait rappeler du théâtre de la guerre. Néanmoins, il n’ose encore l’attaquer ouvertement, car il lui sait, à la Convention, des amis puissans ; il le sait soutenu par le Département, soutenu par la Société populaire, soutenu par les Représentans qui l’ont vu à l’œuvre, Tallien, Guimberteau, Garnier de Saintes, qui se déclare pris pour Clément de Ris d’une amitié franche et républicaine. Senard ne veut engager la lutte qu’avec la certitude de la victoire.

De son côté, Clément de Ris ne s’alarmait pas plus que de raison. Fort des appuis qui viennent d’être rappelés, il semblait avoir fait sienne la philosophie que Tallien lui prêchait dans une de ses lettres : « Les méchans vous calomnient ? Ils font leur métier ; ils gagnent leur argent. Les bons citoyens vous rendront justice, et, pour être tardive, elle n’en sera que plus éclatante. » Sans se hausser jusqu’à l’absolue confiance, que n’autorisaient ni les temps, ni les hommes, il espérait avoir endormi le soupçon et conjuré l’imminence de la persécution, tant par les services rendus à la défense républicaine que par les gages multiples qu’il avait donnés de son civisme. Ne l’avait-on pas vu le 27 brumaire, coiffé du bonnet rouge et au cri de : Vive la république ! danser en compagnie du représentant Guimberteau, autour d’un bûcher où brûlaient les titres de noblesse et les archives ecclésiastiques ? Ne l’avait-on pas vu, le 20 frimaire, dans le même appareil, suivre par les rues de Tours le char de la Déesse Raison, et applaudir le citoyen Bouilly[1] juché aux pieds de la Déesse, et dans un discours pathétique, vouant à l’exécration l’es rois, la royauté et les derniers restes de la féodalité ? Plus récemment encore, n’avait-il pas, de ses

  1. C’est le littérateur, l’auteur des Contes à ma fille et des Contes à mes petites amies. Il était alors tort intimement lié avec les Clément de Ris.