Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

populace grisée de convoitises, abêtie jusqu’à la férocité par la hantise de l’aristocrate. Et toute cette tourbe épie, réclame, attend et espère de lui l’occasion de donner cours à ses appétits et à ses instincts. Cette occasion s’offrit en juin 1793.

Les administrateurs du district de Chinon, à la nouvelle de l’approche d’un corps de cavalerie vendéenne, avaient pris la fuite, et la ville était tombée au pouvoir de l’ennemi. Le scandale avait été d’autant plus grand, que, peu auparavant, ces mêmes administrateurs avaient solennellement juré de s’ensevelir sous les ruines de la cité plutôt que de la rendre. Traduits devant le Conseil du Département, ils alléguèrent, pour leur défense, la pureté de leurs intentions, le désir de porter les archives en lieu sûr, de soustraire à l’ennemi les équipemens et les munitions en réserve dans la ville, d’épargner aux habitans les représailles suites d’une défaite certaine, etc. La discussion fut vive dans le conseil. Deux partis se formèrent, dont l’antagonisme ajouta aux germes de division existant déjà. Les uns, poussés par les injonctions de Senard et de la commune, réclamaient un exemple ; les autres penchaient pour l’admission de circonstances atténuantes. Ces derniers l’emportèrent. Les administrateurs chinonnais furent renvoyés indemnes, et deux délégués du département furent désignés pour les accompagner et les réintégrer dans leurs fonctions. L’opinion se prononça hautement contre cet arrêt, et, mettant à profit ce mécontentement, la municipalité de Tours demanda, et obtint des Représentans en mission, la création d’une commission militaire chargée d’enquêter sur les menées royalistes et contre-révolutionnaires, et de prendre à leur sujet toute mesure estimée utile. Senard fut appelé à la présider.

Aussitôt le conseil du Département s’émeut. Il proteste, indigné, contre une institution qu’il qualifie de monstrueuse et attentatoire à tous les principes de la liberté. La protestation se renouvelle à chaque séance et n’a pour effet que d’irriter Senard, de le porter de plus en plus à la violence. Il fait régner à Tours, et dans tout le département, la Terreur avec ses vilenies et ses atrocités. On voit cet ex-défenseur du clergé briser de ses mains la sainte ampoule de Marmoutiers. Les prisons, et, quand elles deviennent trop étroites, les églises s’emplissent de suspects. L’échafaud, dressé place d’Aumont, y reste en permanence durant quarante jours. Le conseil du Département proteste de plus belle, et parmi les plus énergiques à flétrir ce régime de