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les qualités de l’administrateur, se prirent d’affection pour l’homme, et, quand il fut menacé, devinrent ses défenseurs les plus fermes. Un autre avantage, fort appréciable pour un caractère aussi prudent, fut de lui permettre, par les absences auxquelles il était obligé, d’échapper au vote de certaines mesures ou à la participation à certains actes qu’il sentait devoir, tôt ou tard, être condamnés par la conscience publique. N’exagérons pas toutefois ses scrupules en la matière. Trop souvent il fit au souci de sa sécurité le sacrifice de sa dignité ; trop souvent il apposa sa signature au bas d’actes créant des suspects ou déportant en masse des ecclésiastiques, — ce qui ne l’empêchait pas de donner asile chez lui, pendant deux mois, au supérieur du séminaire de Tours, et de protester contre les actes de la commission militaire envoyant à l’échafaud en moins de 30 jours plus de soixante victimes. L’on saisit ici la contradiction de cette nature complexe et faible, humaine et bonne par tempérament, prudente par instinct sinon par calcul, prompte à subir l’influence du milieu ; capable, par raison politique, d’approuver des mesures propres à créer des victimes, et portée, par sensibilité d’âme, à soustraire ces victimes à la rigueur de ces mesures. Au demeurant, il fut sincère ; mais il le fut au jour le jour et jusque dans ses contradictions : sincère en sa répulsion pour qui faisait de la Terreur un moyen de gouvernement ; sincère dans le concours qu’il prêtait, comme patriote, au vote ou à l’exécution d’arrêtés dont les conséquences ne pouvaient aboutir qu’à la Terreur : sorte d’Ugolin politique s’attendrissant sur les victimes, mais les sacrifiant pour se sauver lui-même.

Rappelons, à sa décharge, que l’antagonisme du Département et de la municipalité, — ou, comme on disait, de la Commune, — de Tours, rendait particulièrement délicate la situation des administrateurs. Dans la lutte engagée entre ces deux pouvoirs, la commune tenait pour les moyens extrêmes, et comme elle avait l’appoint de la partie la moins saine, mais la plus bruyante et la plus remuante des sans-culottes, comme elle prétendait représenter le sentiment populaire et le représenter seule, elle finissait par asservir à ses inspirations jusqu’à ses adversaires du Département. Comment eussent-ils résisté à la poussée de cette opinion publique, dont Voltaire disait : « On la nomme la reine du monde, et elle mérite ce nom : car, toutes les fois que la raison se présente pour la combattre, la raison est condamnée