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le troisième article qu’écrivit M. Gustave d’Eichthal. Les Saint-Simoniens avaient, en effet, à l’égard de l’amortissement, une doctrine radicale. Ils soutenaient que l’emprunt apportait moins de trouble que l’impôt « dans l’ordre du travail industriel » parce que l’Etat recevait, des capitalistes « oisifs, » ses prêteurs, des fonds qu’ils ne savaient point faire fructifier intelligemment. Il était donc inutile d’en opérer le remboursement. Car pourquoi prendre par l’impôt, au travail, qui les emploie reproductivement dans l’industrie, des capitaux actifs pour les remettre à des gens décides à les immobiliser encore dans des placemens de fonds d’Etat ? N’est-ce pas donner une prime à cette inertie ? Le capital mobilisé, circulant comme un sang vivifiant à travers le réseau des entreprises industrielles et commerciales, n’est-il pas l’élément fécondant par excellence de la vie économique ? Pourquoi le détourner de sa véritable destination ? Pourquoi rembourser au pair le capital emprunté, alors que l’Etat n’a touché que la moitié ou les trois quarts du capital nominal ? N’est-ce pas avantager par une prime très forte la classe oisive des rentiers ? Et puis, l’amortissement n’est-il pas une opération illusoire, de même que les conversions ou réductions d’intérêts ? Ce sont là des jongleries. Pour les Saint-Simoniens, l’amortissement et la conversion sont « les actes progressifs d’une sorte de conspiration jusqu’ici instinctive ourdie depuis des siècles contre l’aristocratie guerrière et oisive. » La doctrine est curieuse et hardie, d’autant plus qu’elle s’appuie sur des raisons vraies dans une certaine mesure. Enfantin, comme M. Gustave d’Eichthal, défendait avec beaucoup de vigueur des idées fort justes en montrant quel décevant et dangereux mirage étaient les théories du docteur Price sur l’amortissement, et combien les fantastiques accumulations réalisées sur le papier par les calculs d’intérêts composés pouvaient tromper les esprits les plus prévenus. Déjà, dans une brochure publiée en 1829, M. Gustave d’Eichthal, sous forme de lettres adressées aux membres de la commission du budget de la Chambre, avait exposé et défendu les mêmes doctrines[1]et montré l’insuccès, tout au moins en France, du système de l’amortissement.

  1. Cette brochure est intitulée : Lettres à MM. les Députés composant la commission du budget sur la permanence du système de crédit public et sur la nécessite de renoncer à toute espèce de remboursement des créances sur l’État, par M. G.-D.-E., Paris, 1829. Le même auteur publia en 1838 une autre brochure sur cette même question, intitulée : Observations sur l’opération du remboursement au pair.