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représentés dans cette église que sa richesse artistique a fait transformer en musée d’État. Mais j’ai hâte de voir les Gozzoli.

Quelle fraîcheur ! Quelle suavité de composition et de coloris ! Jamais le peintre ne fut plus parfait : c’est que jamais il ne fut plus sincère ; c’est qu’il s’est mis tout entier dans son œuvre, sans chercher à nous étonner ou à nous éblouir. Tout ce qu’il sait déjà, tout ce qu’il a appris auprès de l’Angelico ou devant les fresques d’Assise lui sert à exprimer les sentimens que lui inspire la pieuse contrée qui avait offert le creux de ses collines comme berceau au christianisme renaissant. Nul autre horizon, nulle autre atmosphère ne pouvaient mieux séduire une âme artiste et croyante. Deux ans Gozzoli vécut ici. Après le travail du matin, à la tombée du soir, ses yeux se reposaient dans la contemplation de la douce vallée. Des blanches murailles d’Assise, des toits de la Portioncule où fleurirent les premières fleurs mystiques, des champs de Bevagna où saint François prêcha les oiseaux, les parfums de la merveilleuse légende montaient vers lui, en lourdes et grisantes bouffées. Mais cette plaine, comme d’ailleurs la vie même du Poverello, lui enseigna aussi l’amour de la nature et de la vérité. Quelle différence avec les fresques auxquelles il travailla sous la direction du moine de Fiesole ! Si son cœur reste fidèle au tendre idéal du maître, son esprit s’est ouvert. L’artiste se dégage des formules et se rapproche du réel. C’est par là du reste qu’il nous séduit. Plus tard, à Florence, à San Gimignano ou à Pise, il s’émancipera encore, mais aux dépens de sa sincérité. Il ne sera plus attentif qu’au spectacle bariolé et brillant de la vie mondaine. Son art deviendra profane, presque païen. Metteur en scène habile, conteur pittoresque à la verve endiablée, il déploiera ses ingénieuses cavalcades sur les murs du palais que Michelozzo Michelozzi venait de bâtir pour Pierre de Médicis ; mais il ne sera plus alors le peintre ému et émouvant de Montefalco et, malgré toute sa science et tout son esprit, il nous paraîtra plus loin de nous qu’ici, dans cette église de San Francesco où il se borna à laisser parler son cœur. Il n’apporte pas à l’exécution de ses fresques ce souci de correction, cette recherche de l’élégance et du fini qui seront, par la suite, sa principale préoccupation. Souvent même, il est gauche et incorrect, mais il est loyal et véridique. Nulle recherche d’attitude, nul travail d’expression. Il peint comme il voit ou comme il imagine. Il illustre, du mieux qu’il peut, le poème