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journée finie, après le repas pris en commun à la ferme, devant la tranquille magnificence de la nuit criblée d’étoiles, il leur disait les splendeurs de l’univers.

Le sentiment, l’amour de la nature sont devenus chose banale. Il n’est personne aujourd’hui qui n’admire, — avec plus ou moins de sincérité, — un lever ou un coucher de soleil, la mer étincelante, une prairie en fleurs, un bois rougeoyant à l’automne. Dans les poèmes et les romans de ces dernières années, il est plus de belles pages inspirées par la beauté des paysages que par l’analyse du cœur humain. Et beaucoup d’écrivains pourraient dire avec la poétesse du Cœur innombrable :


La forêt, les étangs et les plaines fécondes
Ont plus touché mes yeux que les regards humains.


On chercherait vainement dans la littérature médiévale italienne quelques lignes consacrées à un spectacle naturel. Même chez Dante et Boccace, les détails pittoresques sont très rares. Peut-être faut-il mettre à part Pétrarque et, surtout, au siècle suivant, ce Sylvius Æneas Piccolomini qui, devenu pape, se plaisait à tenir le consistoire au bord d’une prairie, à l’ombre d’arbres séculaires, et dont les descriptions de Todi, de Nemi et de Sienne nous semblent presque modernes. Encore est-il tout à fait curieux de lire, par exemple, dans Pétrarque, le récit de son ascension au Ventoux. Longtemps il hésite, et il ne se décide qu’après avoir vu dans Tite-Live que le roi Philippe avait gravi l’Hémus. Un vieux berger le conjure de revenir sur ses pas, lui prédit toutes sortes de malheurs. Il poursuit sa route ; mais, au sommet, son émotion et sa crainte sont si fortes qu’il est obligé de s’asseoir… Il ouvre les Confessions de saint Augustin et tombe sur ce passage qui l’effraie et lui semble choisi par Dieu même : « Les hommes vont admirer les hautes montagnes et la mer qui s’agite au loin, et les torrens écumans, et ils s’oublient eux-mêmes dans cette contemplation… »

Cette plaine d’Ombrie, si célèbre et si célébrée aujourd’hui, n’inspira point jadis les écrivains qui la virent. C’est à peine si Montaigne lui consacra quelques lignes lorsque, sur la route d’Ancône, il s’arrêta à Foligno, sans daigner remonter jusqu’à Assise. Le président de Brosses ne quitta point son coche et admira distraitement par la portière le paysage illustre. Gœthe ne remarqua qu’un temple païen dans la ville de saint François, et Stendhal