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Sur les légères ondulations, quelques groupes de chênes verts massifs et puissans ; de loin en loin, un peuplier ou un cyprès, moins vigoureux, mais concentrant toute leur sève sur un seul point, pour monter plus haut vers le ciel. Autour, des maisons, des vergers et des tonnelles. Des tas de tomates séchant au soleil font de larges taches rouges. On sent que la vie doit être facile, et l’horizon lui-même, fermé de tous côtés par une ligne d’harmonieuses collines, incline l’âme à la sérénité. Une brise légère souffle et son murmure est doux comme celui du vent dans les roseaux du Trasimène. Une impression de force et de santé monte de la terre grasse. L’Ombrie est à la fois plus joyeuse et plus rude que la Toscane ; mieux qu’elle, elle réalise le Soave austero. On est facilement la dupe des mots, de la « piperie » desquels Montaigne avertit de se défier, et souvent l’on trouve aux choses l’aspect que par avance on désire leur voir ; mais vraiment « douce Ombrie » n’est pas un cliché, à la condition toutefois de prendre le mot, non comme synonyme de fade, mais dans son sens le plus large et le plus fort. Douce Ombrie, parce qu’elle est pacifique, d’un rythme égal et tranquille, parce que l’admiration qu’elle inspire est sans terreur, parce qu’elle est vraiment humaine. On comprend que le bonheur de vivre ait tenu dans la religion de saint François plus de place que la crainte de la mort.

Si, à Pérouse, il est possible d’oublier le Poverello, ici, dans cette vallée sur laquelle ses yeux s’ouvrirent et se fermèrent, le long de cette route Jalonnée par de petits autels à la Madone, il n’y faut pas songer. Chaque coin raconte un épisode de sa merveilleuse vie, fut témoin de l’un de ses miracles. Son nom est partout. On marche véritablement sur ses chemins. Et ceux-ci ont si peu changé ! Voici le Ponte San Giovanni, le vieux pont romain en dos d’âne jeté sur le glorieux Tibre. Même presque à sec, ce fleuve est émouvant. Les eaux sont des miroirs mystérieux qui gardent le frisson des choses réfléchies. Sur ce pont passa saint François toutes les fois qu’il allait d’Assise à Pérouse, et le soir où, prisonnier, il fut emmené par les Pérugins triomphans. Les mêmes prairies, les mêmes arbres le virent, et aussi les mêmes habitans, aimables et doux, auxquels il contait ses rêves et ses croyances. Je l’imagine, aux matins d’été, sortant de la Portioncule, allant à la rencontre des paysans, s’entretenant avec eux et les aidant dans leurs travaux. Puis, la