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moment si émouvant dans l’histoire de la sensibilité humaine, où le rêve pieux du moyen âge s’efface devant le paganisme renaissant ?


Intra Tupino e l’acqua che discende
Del colle eletto dal Beato Ubaldo,
Fertile costa d’alto monte pende


Cette côte fertile, entre le Chiascio et le Topino, c’est la côte d’Assise ; couverte de vignes et d’oliviers, je l’aperçois de ma voiture qui descend vers le Tibre au calme trot de deux chevaux paraissant déjà las au départ. La matinée est lumineuse et fraîche. Il a plu pendant la nuit et, à travers l’atmosphère lavée, les choses prennent une telle netteté que l’on songe au lumine acuto dont parle Dante. Une simple averse a suffi pour faire renaître, comme par enchantement, l’Umbria verde. Des gouttes d’eau luisent encore sur le clair feuillage des oliviers dont les mornes troncs, nettoyés par la pluie, semblent plus noirs et plus tragique. Rien n’est douloureux comme l’aspect de ces arbres : vraiment l’un d’eux était digne d’abriter la seule défaillance du Christ. Ceux qui couvrent les versans de ces collines comptent parmi les plus vénérables d’Italie. Ils sont si vieux qu’ils devaient être déjà centenaires au temps de saint François. Troué, fendu, ravagé comme par une souffrance intérieure, déchiqueté, crevassé, ouvert de tous côtés, leur bois dur porte les traces du constant effort qu’il eut à soutenir pour écarter le roc et vivre sur un sol avare. Parfois l’écorce seule est restée, et l’on se demande comment la sève peut circuler encore. L’hiver, le froid, la pluie, le soleil brûlant, le vent ont torturé ces arbres chers à Pallas, qui symbolisent ici la lutte plus que la paix. Serpens enlacés dans un combat frénétique, câbles tordus et noués, muscles cambrés pour une incessante défense, tout rappelle ces damnés qui hurlent aux pages de l’Enfer. Mais, par un curieux contraste, un délicat feuillage recouvre ces troncs tourmentés, et rien n’est plus séduisant que le miroitement des petites feuilles qui luisent sous le soleil comme des écailles d’argent.

Au bas du coteau, l’aspect change, et la nature devient riante. Il n’y a presque plus d’oliviers. La campagne ressemble à un vaste jardin. Les mûriers, la vigne, le blé, le maïs se partagent les champs de cette plaine où s’étalait jadis le lac du Topino