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ait lui sur les hommes depuis l’étoile de Bethléem. Certes, je déplore que vos peintures ne soient plus accrochées aux murs pour lesquels vous les avez exécutées. Ici du moins vous a-t-on épargné des voisinages choquans, et vos douces Vierges qui s’émeuvent à l’approche de l’Ange annonciateur ne sont pas encadrées par des nymphes au bain ou de provocantes Léda. Vous n’avez pas regardé les légendes sacrées comme des anecdotes agréables et commodes à illustrer. Votre christianisme est sincère, non théâtral et faux, ainsi qu’il le deviendra trop vite chez vos voisins de Florence, de Rome ou de Bologne. Par l’art, vous vouliez servir la religion ; après vous, ce sera la religion qui devra servir l’art. Et je vous aime aussi parce que toujours vous fûtes des méconnus. Aujourd’hui encore Les critiques sont sévères, quand ils ne vous ignorent pas. S’ils parlent de vous, c’est presque à regret, pour être complets : l’un d’eux, tout récemment, à propos de Bonfigli, se Rome à mentionner « les médiocres essais d’un peintre d’anges mignards, couronnés de chapeaux de roses. » D’autres, parce que vous êtes pieux, naïfs et sincères, vous ont considérés comme des mystiques, obstinément hostiles au mouvement réaliste, ce qui, ajoutent-ils, est tout naturel puisque vous viviez au pays de saint François : ils n’ont pas vu qu’il y avait tout au moins quelque illogisme à attribuer au même homme la révolution naturaliste de Giotto et la soi-disant réaction des peintres de Pérouse.

D’ailleurs, même chez le vieux Boccati, il y a une curieuse recherche de la vérité. Quoi de moins mystique que la frise où se heurtent archers et cavaliers, ou que le Bambino jouant avec un lévrier ? Le portique fleuri, qui se dresse derrière la Vierge, rappelle ceux qu’aimait Mantegna, et la variété des instrumens de musique, dans le concert d’anges, indique un évident souci du réel. Chez Bonfigli, les tendances naturalistes s’accentuent. Ses naïvetés ne sont pas toujours des gaucheries et des inexpériences ; elles sont souvent voulues pour obtenir des effets dramatiques. N’est-il pas émouvant, le geste de ce frère qui, dans les Funérailles de saint Ludovic, devant le cercueil éclairé par les flammes funèbres des cierges, se couvre le visage avec la main pour dissimuler ses larmes ? Dans la Bannière de saint Bernardin, quel sens du pittoresque et du mouvement ! Comme il a su rendre vivante cette scène si curieuse où le peuple fanatique, sur l’exhortation du saint, brûla tous les objets de vanité et de