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Italiens surent s’offrir des spectacles infiniment variés. Allégresse des matins, splendeur des pleins midis éblouissans, violence ou douceur des crépuscules, ils connurent toutes les magies de la lumière. Si loin qu’on soit encore de la Grèce, on comprend déjà les adieux à la vie des héros antiques. Sous ce ciel, d’un bleu moins intense mais aussi pur que celui d’Athènes, ce qui plus que tout doit attrister, c’est de songer que l’on ne verra plus la radieuse clarté du jour ; et l’on ne serait point surpris d’entendre les pauvres auxquels on fait l’aumône vous remercier avec l’admirable souhait des mendians de Corfou : « Puissiez-vous jouir longtemps de vos yeux ! » Les peuples septentrionaux, quand ils s’effraient de la mort, pensent au néant, au non-être, à la disparition de leur personnalité morale ou intellectuelle ; ceux d’ici regrettent surtout le bonheur de vivre, de respirer sous le soleil, la joie de voir et d’admirer qu’ils ne connaîtront plus.

C’est à l’heure fuyante du crépuscule que j’aime à venir rêver dans ce jardin, quand le ciel est déjà d’un bleu très doux, presque laiteux, de la nuance adoucie des violettes de Parme. La vallée ombrienne s’enfonce entre la double chaîne des Apennins et des collines qui dominent le Tibre. Les montagnes vont en se resserrant et forment un de ces fonds imprécis et flous qu’aimait Léonard. Les villes s’estompent dans les lointains, sous la légère brume qui monte du sol surchauffé. Des buées roses s’accrochent aux oliviers, se nouent aux cimes des cyprès. Pourtant l’on distingue encore les méandres du fleuve, les toits de la Portioncule et de Bastia, la blanche Assise au flanc du Subasio ; et je devine même, tant ce panorama m’est familier, Spello, Foligno dans la plaine, Montefalco au sommet de son pic et, derrière la colline de Bettona, la Rocca de Spolète et son bois de chênes verts.

La chute du jour accroît encore la spiritualité de cette terre que Dante appela « le jardin de la Péninsule » et Renan « la Galilée de l’Italie. » Aucun autre spectacle de nature ne peut donner la même impression de douceur et de grandeur. Que d’heures déjà j’ai vécues sur cette terrasse ! Je n’en sais pas de plus belles. D’autres furent plus éclatantes ou plus voluptueuses : celles-ci sont les meilleures. Devant cette vallée où tant de civilisations se succédèrent, où tant de siècles d’histoire laissèrent leurs traces, où la religion et l’art trouvèrent leurs plus pures expressions, il semble que toute, sensation s’avive, que toute