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ciel était d’un violet sombre et tragique, bordé d’une bande écarlate sans cesse grandissante. Les deux couleurs se heurtaient violemment, sans transition, sans gradation, comme les costumes moitié rouges et moitié bleus des pages du Pinturicchio.

Encore un de ces paysages entrevus par la portière d’un wagon, un de ces coins de nature où j’aurais voulu m’arrêter, où je souhaite de vivre pendant quelques jours et que, peut-être, je ne reverrai même pas. Une ligne, une simple ligue vient de l’évoquer. J’avais ouvert un carnet de voyage, croyant y trouver de longues notes. Après une page sur le temple de Sigismond Pandolphe, j’ai lu : « Coucher de soleil sur l’Adriatique. » Mais ces simples mots ont tout fait apparaître, et le ciel, et la mer, et les barques lumineuses, et les nuages éclatans, par un phénomène semblable à celui de ces coquilles qu’il suffit de porter à l’oreille pour entendre encore le bruit des vagues. Et j’ai cru respirer aussi la brise marine, comme en cette soirée passée sur le môle désert d’Ancône, éclairé seulement par la lumière frémissante de ces constellations que, chaque nuit, et presque du même endroit, Leopardi contemplait « scintillantes sur le jardin paternel. »

Peu de panoramas sont plus attristans que celui qui se déroule ensuite, à travers le sombre pays des Marches, jusqu’à Fossato. Ah ! comme on les comprend, et comme ils sont bien d’ici les vers désolés du solitaire de Recanati ! Toute la rudesse d’un sol infécond est passée dans cette poésie hautaine et sévère où nulle grâce ne sourit. Mais, très vite, le paysage s’éclaire et s’égaye, se pare déjà d’un reflet d’Ombrie. Les oliviers argentent les plus proches coteaux. Les cyprès dressent leurs glaives aigus, groupés comme des faisceaux de lances romaines. Après Foligno l’enchantement commence. Le train se hâte vers Pérouse, longeant les collines sur la crête desquelles sont posées des villes presque aériennes, tellement serrées dans la ceinture crénelée de leurs murailles qu’elles paraissent aussi naïvement construites et aussi inaccessibles que les cités peintes à l’arrière-plan des vieilles toiles de Bonfigli.

Ici encore, j’ai vainement cherché une note. La veille du départ, comme tant d’autres fois déjà, en achetant le carnet où je devais écrire mes impressions, j’ai cru qu’il n’aurait pas assez de pages. Et le voici, comme les précédens, presque intact. Le premier jour, les yeux avides absorbent passionnément tout