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HEURES D’OMBRIE

Pour bien goûter le charme de l’Ombrie, il faut y pénétrer, non par les routes toscanes, mais en venant de Rome ou, mieux encore, après avoir traversé les Marches et les rudes Apennins. De Bologne, il faut faire un détour par Rimini et Ancône. Les merveilles de L.-B. Alberti dans le vieux temple du Malatesta et, peut-être, un coucher de soleil sur l’Adriatique dédommagent de cet allongement de chemin. A partir de Pesaro, la voie ferrée court le long de la grève, au milieu des cabines et des baigneurs étendus sur les plages au sable d’argent. L’eau est si bleue, d’un bleu tellement intense, qu’elle a des reflets de métal et semble un bain chimique où les mains se teindraient en s’y plongeant. La mer est déjà orientale. Quand le vent souffle du Sud-Est, il vient directement de Grèce, tout chargé des parfums de la terre antique. Dans les voiles gonflées des tartanes palpite le Levant : jaunes ou rouges, souvent rayées de larges barres brunes, leurs couleurs s’avivent et flamboient sur cette plaque de lapis-lazuli ; quelques-unes arborent encore les emblèmes des pirates barbaresques, le croissant ou le soleil. L’air est si pur que, parfois, aux fins de journée, les montagnes des côtes dalmates se dessinent nettement à l’horizon, à plus de quarante lieues… Je les revois encore, en un crépuscule d’août, se dressant comme des terres de rêve au-dessus de l’eau étincelante. Du côté de Venise, c’était un éblouissement de lumière dorée, un de ces fonds comme essaya d’en peindre Ziem et dont la clarté vive fait mal aux yeux. Vers Ancône, au contraire, le