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rigoureuse que l’on eût vue en France depuis le fameux hiver de 1709, avait mis le comble à la réputation de Mandrin.


V

Au moment où les contrebandiers revenaient sur les bords du lac de Genève, Voltaire était à Prangins, d’où il écrit, le 14 janvier 1755, à la duchesse de Saxe-Gotha :

« Il y a trois mois, Mandrin n’était qu’un voleur, c’est à présent un conquérant. Il fait contribuer les villes du roi de France et donne de son butin une paie plus forte à ses soldats que le Roi n’en donne aux siens. Les peuples sont pour lui, parce qu’ils sont las du repos et des fermiers généraux. Ce brigandage peut devenir illustre et avoir de grandes suites. Les révolutions de la Perse n’ont pas commencé autrement. Les prêtres molinistes disent que Dieu punit le Roi qui s’oppose aux billets de confession, et les prêtres jansénistes disent que Dieu le punit pour avoir une maîtresse. Mandrin, qui n’est ni janséniste, ni moliniste, pille ce qu’il peut en attendant que la question de la grâce soit éclaircie. Paris se moque de tout cela et ne songe qu’à son plaisir. Il a de mauvais opéras et de mauvaises comédies ; mais il rit et fait de bons soupers. »

Le témoignage le plus touchant des sympathies, dont Mandrin était soutenu, se trouve dans les registres de catholicité tenus par un pauvre curé de village, l’abbé Léonard, desservant de Saint-Médard au canton de Saint-Galmier. L’humble prêtre vivait dans un pays que Mandrin avait visité plusieurs fois, dans le voisinage de Montbrison, de Boën, de Saint-Bonnet-le-Château.

Parmi les mariages, les baptêmes et les enterremens consignés dans son registre, il met une « note sur le brave Mandrin, chef des contrebandiers, qui ont apporté dans ce pays du bon tabac pour 45 et 46 sols la livre, ce qui faisait autant de plaisir que de service au public dont il s’était attiré la confiance avec ses gens. »

« Il était si vigoureux et si redoutable, dit le bon abbé Léonard, que, à la tête de sa troupe, il passa et repassa le Rhône, malgré le régiment de La Morlière-dragons, qui le boudait et qu’il mettait en fuite. On n’a pas vu son pareil pour le courage et l’entreprise. »

Le curé de Saint-Médard résume ensuite les campagnes qui