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ont commencé à se demander — tout haut — s’ils pouvaient vraiment se passer des socialistes sur le terrain électoral, et quelques-uns ont avoué ingénument qu’ils n’auraient jamais été élus sans l’appoint indispensable qu’ils en avaient reçu. Alors le problème s’est compliqué et est devenu angoissant. Il s’agissait de savoir dans quel système de conduite on perdrait davantage, soit en restant, soit en rompant avec les unifiés. Cruelle énigme ! Quant à la patrie elle-même, elle occupait une place secondaire dans les préoccupations des radicaux dont nous parlons. Peu à peu ils ont commencé à se demander s’ils ne pourraient pas désavouer les théories antipatriotiques tout en restant bons amis avec ceux qui en faisaient profession, et ce compromis leur a paru habile. Il donnerait satisfaction à tout le monde, au pays que l’antipatriotisme présenté trop crûment avait effarouché, et au bloc, au vieux bloc dont on ne saurait se passer. M. Combes a été consulté : sa réponse était à prévoir. Il a vécu de l’union des gauches, il ne conçoit pas d’autre groupement de majorité, il n’admet pas d’autre système de gouvernement. Quelle ingratitude de rompre l’union et surtout quelle imprudence ! En politique, quand le vieux est trop vieux, il faut le raccommoder et le retaper plusieurs fois avant d’y renoncer.

D’autres ont déclaré qu’ils voulaient bien n’avoir plus rien de commun avec les socialistes unifiés, mais à la condition de n’avoir rien de commun non plus avec les progressistes. Mais alors la question s’est posée de savoir si on aurait une majorité sans ceux-ci et sans ceux-là. Les uns ont dit oui, très hardiment ; les autres ont dit non, et beaucoup d’esprits sont restés perplexes. Les vrais radicaux, les anciens, les purs, nous ont révélé un fait dont nous avions bien quelque intuition, mais que nous n’aurions pas osé affirmer s’ils ne l’avaient pas fait avant nous : c’est qu’il y a un grand nombre de néo-radicaux, et même de radicaux-socialistes, qui ne le sont qu’occasionnellement et à contre cœur. Au fond de l’âme, ils sont de bons bourgeois conservateurs ; mais ils n’osent pas le dire et jusqu’ici ils ne l’ont pas pu. S’ils le peuvent demain, ou s’ils croient le pouvoir, que feront-ils ? Briseront-ils une servitude qui leur pèse ? Reprendront-ils une liberté qu’ils regrettent ? Les vieux radicaux se le demandent, et ils n’ont pas plus de confiance que nous n’en avons nous-même dans ce qui peut en arriver : nul ne sait. Laissons la parole à l’un d’entre eux, pour qu’on ne nous accuse pas d’exagérer. M. Camille Pelletan dénonçait récemment dans un journal l’évolution vers le centre qu’on voulait faire faire au parti radical-socialiste, et il constatait avec mélancolie que