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le lui a donné en prenant hardiment l’offensive contre M. Jaurès, le tribun devant lequel on avait longtemps tremblé et qu’on a été bien aise de voir enfin secoué par une main énergique et rude. « Bats-le d’abord comme plâtre, dit Caliban à Stéphano, en parlant de Prospéro dans la Tempête, — ce n’est pas M. Jaurès qui se plaindra de la comparaison, — et puis, un peu après, je le battrai moi aussi. » La Chambre est maintenant prête à battre M. Jaurès ; mais il faut convenir que celui-ci y a singulièrement aidé, et qu’il s’est fait plus de mal à lui-même que n’aurait jamais pu lui en faire la rhétorique de M. Clemenceau. Cette rhétorique s’est manifestée, il y a quelques jours, avec quelque éclat à Amiens, où la municipalité élevait un monument à l’honnête et courageux M. Goblet. Un journal radical a comparé à cette occasion M. Clemenceau à Démosthènes, et il est vrai que jamais son éloquence n’avait autant senti l’huile, que jamais il ne s’était aussi appliqué, que jamais il n’avait fait plus de littérature. Mais enfin le morceau est bien venu, et il contient contre les anti-militaristes un certain nombre d’imprécations d’une assez belle et ferme allure. « Messieurs, s’est écrié M. Clemenceau, nous en prenons nos aïeux et nos fils à témoin, il ne sera pas toléré que cette grande et noble France, dont le sort nous fut remis en des heures terribles, subisse de mains scélérates une irréparable atteinte. Nous la préserverons, nous la garderons, nous l’aimerons, nous efforçant de la laisser plus grande, plus haute, plus belle encore aux générations dont la charge ; sera de l’accroître toujours en beauté. » Et pour l’accroître en beauté, M. Clemenceau ne dissimule pas qu’il faut commencer par l’accroître en force. « Gardons-nous d’oublier, a-t-il dit, qu’il faut vivre d’abord, nous maintenir dans notre force et dans notre volonté contre toute entreprise des brutalités survenantes : sans quoi, nos trop faciles ambitions ne seraient qu’une rêverie d’impuissance. » Et M. Clemenceau a cité la Grèce antique, à laquelle il a dédié le morceau le mieux ouvragé de son discours, la Grèce dont le « miracle » d’art a émerveillé et continue d’éclairer le monde, mais qui a péri parce qu’il a manqué à ses enfans « le sens supérieur de la patrie hellénique. » Pourquoi, se demande-t-il, n’a-t-elle « apparu dans l’histoire que pour disparaître aussitôt, comme un éclair entre les deux nuits de l’Asie dégénérée et de l’occident non encore ouvert ? » Pourquoi ? « C’est que les Grecs, capables d’arrêter l’Asie à Marathon et à Salamine par deux incompréhensibles faits d’armes, les luttes intestines devaient les livrer d’épuisement au Macédonien ; c’est enfin que, déchus de leurs vertus d’action, ils s’abandonnèrent désespérément à ces redoutables maladies de