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Parmi les actes de la vie en commun, — nous parlons des actes élémentaires et primitifs, — il en est peu qui ne trouvent dans la musique un accompagnement, un soutien ou un secours, ne fût-ce qu’une parure. Chacun sait que Darwin a donné pour origine, lointaine autant qu’animale, au chant et par suite à la musique, le désir que ressent et manifeste le mâle de plaire à la femelle, autrement dit le fait social par excellence, d’où tous les autres sont issus, et qui s’appelle l’amour.

Si la musique vient de l’amour, l’amour du moins peut se passer de musique. Mais il est d’autres faits ou phénomènes de relation, où presque nécessairement elle se mêle.

La guerre, à laquelle on pense d’abord, ne se fit jamais « sans tambour ni trompette, » et, même pacifique, la vie du soldat, ou plutôt des soldats réunis, la journée de la caserne, est réglée en ses moindres détails et pourrait presque s’exprimer ou se raconter par des sonneries de clairon.

Un autre exemple, un peu moins banal peut-être, est tiré du travail, du travail matériel, et de celui surtout qui s’accomplit en commun. Les poètes eux-mêmes ont témoigné de cette alliance nécessaire, de l’ordre et du secours à la fois que la musique apporte aux labeurs humains. Vous ne l’ignorez pas,


Laveuses, qui dès l’heure où l’Orient se dore,
Chantez, battant du linge aux fontaines d’Andorre.


Ils le savent aussi, les « travailleurs de la mer, » et ceux de la glèbe, tous ceux qui se courbent sur les rames, sur la charrue ou la faucille, aux sons cadencés et bienfaisans de leur propre voix.

Les économistes, à cet égard, se rencontrent avec les poètes. Nous avons lu dans un ouvrage récent qu’ « un observateur a fait en Allemagne une statistique assez curieuse. En comparant le résultat du travail des ouvriers qui chantent et le résultat du travail des ouvriers qui ne chantent pas, il a constaté que les premiers produisaient plus que les autres[1]. »

Une seconde observation, que le même auteur rapporte, et qui vient de plus loin, nous paraît plus originale encore et plus pittoresque. Elle évoque des scènes exotiques, mélodieuses et marines. Il s’agit de certain air chanté par les plongeurs africains tandis qu’ils

  1. Enquête du Musée social, Paris. Les travailleurs du bois à Dantzig, 1905. — Cité par M. Jules Combarieu : la Musique, ses lois, son évolution, Paris, Flammarion, 1907.