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Il y avait tout aussitôt poussé sa troupe, hâtant l’allure des chevaux. Le capitaine de Laire comptait trouver Mandrin à la Sauvetat, mais si grande avait été sa diligence qu’il y était arrivé avant lui, à trois heures et demie du matin. Après avoir fait fouiller le village et n’y trouvant aucun de ceux qu’il cherchait, il crut que les Mandrins en étaient déjà repartis. Il avait alors fait entrer les chevaux dans diverses écuries, où on leur donna de l’avoine et du foin, et avait permis à ses hommes de se répandre dans les cabarets et dans les maisons des paysans qui consentiraient à les recevoir.

La Sauvetat-en-Velay est un pauvre village, presque à la crête d’une masse volcanique, à la distance de cinq lieues, au Sud, du Puy. Du sommet de la montagne, où des quartiers de roc saillent de terre, on domine toute la contrée : un premier plan de mamelons qui sont comme recouverts d’une calotte par des bois de sapins noirs ; plus loin la dentelure azurine des monts aigus dont les flancs cerclent l’horizon comme les gradins d’un cirque gigantesque.

Les maisons de la Sauvetat sont construites en blocs de lave fauve ; les rues en sont semées de sable roux ; par endroits la roche volcanique y paraît à fleur de terre. Chaque maison est isolée de la voisine, comme en une farouche défiance, basse, massive, regardant d’un air louche, de sa petite fenêtre unique ouverte sur le flanc de la porte étroite. Le rude aspect de chaque demeure est rendu plus sombre encore par la cour dont elle est entourée, protégée d’une muraille à hauteur d’épaule. Celle-ci est formée par des blocs de lave rouge, énormes, qui ont été entassés l’un sur l’autre, et se tiennent librement sans mortier ni ciment. Les portes des cours sont faites de lourdes palissades de bois à peine équarri. Le fumier est tassé sur le devant, entre des blocs de lave. Constructions âpres et sauvages, dont chacune est comme un bastion fortifié et qui pouvaient sembler avoir été faites pour servir d’aire à un vol de brigands.

Voilà donc les Mandrins qui arrivent sur les cinq heures du matin à la Sauvetat. Ils étaient trente-six. Le village est tout bondé de cavaliers de La Morlière : cent cinquante environ. Nul des Mandrins ne s’en doute. Il fait nuit noire et le froid est d’une rigueur affreuse. Trois contrebandiers sur leurs chevaux se présentent à la porte d’une écurie. Une sentinelle crie :

— Qui vive !