Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/938

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chapitre de Jouffroy. Il réalise ainsi, à force de pénétration, de merveilleuses trouvailles.

L’effet ordinaire de l’analyse, cultivée exclusivement et poussée trop loin, est, non pas toujours de dessécher en nous la sensibilité, mais de nous faire redouter tout ce qui pourrait l’émouvoir. Elle nous rend inaptes à la vie, en nous proposant de ses difficultés une image devant laquelle nous reculons. Ceux qui aiment vraiment la vie l’acceptent tout entière, telle qu’elle est, et vont au devant de ses épreuves. Écoutez les poètes de l’amour : ils ne distinguent pas entre ses tristesses et ses joies ; ils en appellent toutes les émotions ; et peut-être l’âpre attrait de la passion vient-il de la promesse de tortures qui est en elle. Le poète trop clairvoyant et qu’un premier chagrin a rendu timide, demandera surtout à l’amour de ne pas le faire souffrir. Il se contentera d’un amour silencieux et fidèle : un soupir, un regret, la chimère d’une félicité impossible, voilà ce qui tiendra bleu à ce rêveur de la comédie réelle et des drames vécus de l’amour. Aussi bien, à regarder de trop près le bonheur humain, on le reconnaît fragile et décevant. Rien n’est vrai que ce qui dure toujours. Et tout passe ici-bas, et tous les lilas meurent…

A mesure que nous prenons plus conscience de nous-mêmes, nous découvrons plus de raisons de nous attrister. Le meilleur de nos instincts, celui d’universelle sympathie, est une occasion de mille souffrances :


J’ai voulu tout aimer et je suis malheureux,
Car j’ai de mes tourmens multiplié les causes :
D’innombrables liens frêles et douloureux
Dans l’univers entier vont de mon âme aux choses.

Ma vie est suspendue à ces fragiles nœuds,
Et je suis le captif des mille êtres que j’aime :
Au moindre ébranlement qu’un souffle cause en eux,
Je sens un peu de moi s’arracher de moi-même.


Peu à peu tout l’être devient douloureux. Étrange pouvoir de l’analyse ! Sous son action, nos joies se dissolvent, nos peines s’augmentent, les blessures s’élargissent, les chagrins anciens se réveillent Encore la pire misère, pour qui descend au fond de la conscience, est-elle cette impression où il aboutit, d’une irrémédiable solitude.

Le thème de la « solitude » est un de ceux où s’était complu la déclamation romantique. Pour le héros de Chateaubriand ou de Byron, de Hugo, de Vigny, — ou même de Dumas père ! —