Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/937

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dialogue avec les étoiles. Le large fleuve de la poésie lamartinienne a été peu à peu endigué et filtré. Sainte-Beuve et Baudelaire ont donné des exemples d’une notation psychologique plus précise ; un patient travail a renouvelé la forme et révélé les secrets d’un art précieux. Il n’en est pas moins vrai qu’entre des rives plus étroites c’est le même courant qui se continue.

Or, le lyrique des Méditations et des Harmonies avait développé les grands thèmes : la Nature, l’Amour et la Mort. Il avait dit les larges émotions et les sentimens simples. Donc il faut maintenant pénétrer plus avant, raffiner et subtiliser. Le poète cherchera à atteindre dans, les replis cachés du cœur les vagues désirs, les mobiles secrets qui s’y dissimulent ; il tâchera de saisir les nuances passagères, incertaines, et sitôt changeantes. Ainsi dans les Joies sans causes. Ainsi dans le Scrupule. Il y a au fond de nous-mêmes, et par delà les parties qu’éclaire le grand jour de la conscience, tout un monde de pensées ébauchées, de sentimens furtifs, qui sourd et qui court. Il arrive qu’un peu de cette vie obscure affleure à la lumière pour rentrer aussitôt dans son ombre. Ces jeux d’ombre et de lumière qui font l’atmosphère de la vie intérieure, ces rapides apparitions qui sont au dedans de nous-mêmes comme des sillages d’étoiles, voilà ce que guette le moraliste raffiné et voilà pour le poète la matière subtile de ses vers. Étonnez-vous après cela que ces vers, au moment où il les voit sur le papier, le déçoivent ! Sully Prudhomme a plusieurs fois exprimé cette sensation qui lui est familière : quand il nous livre son poème, son cœur ne le reconnaît plus. Est-ce seulement l’espèce de désillusion habituelle à l’artiste qui compare au modèle rêvé une copie trop pâle ? Non, mais c’est plutôt la crainte d’avoir faussé le sentiment en le traduisant. Quand les grands lyriques expriment une loi générale de notre nature ou un sentiment permanent de notre cœur, ils peuvent faire appel à toute la puissance du verbe. Celui qui ne s’attache qu’aux nuances fait vraiment sa poésie avec l’étoffe de ses rêves : les mots lui semblent d’un contour trop arrêté et d’une matière trop lourde.

C’est l’analyse qui démêle la complexité intérieure ; c’est elle qui résout idées, sentimens et sensations dans leurs élémens ; c’est elle qui en décompose le mécanisme. Sully Prudhomme se sert de l’analyse précisément à la manière du psychologue étudiant les facultés de notre esprit. Les pièces où il définit l’Habitude, la Mémoire, l’Imagination, font songer, pour la lucidité de l’observation et l’exactitude du procédé descriptif, à une monographie de l’école écossaise, à un