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capitaine de Larre, après avoir atteint le Puy, se dirigeait, lui aussi, vers le point où les Mandrins lui étaient signalés.

Bien qu’il dût se hâter et qu’il sentît l’ennemi sur ses talons, Mandrin voulut s’arrêter une heure, en cette nuit de Noël, dans ce pays de montagnes, calme et sauvage, pour entrer, à Fix-Saint-Geneix, dans l’église pleine de lumière et y entendre les chants en l’honneur du Dieu des pauvres gens. Il assista avec ses compagnons à la seconde messe de minuit. Quelles furent, dans ce moment, ses pensées ? Quelles émotions s’agitèrent en lui, durant cette heure de recueillement ? Que ne donnerait-on pour avoir une peinture vivante de ces bandits en haillons et en armes, entassés parmi des paysans tranquilles, des femmes inclinées sous leurs coiffes blanches, dans cette petite église perdue sur les hauteurs, lumineuse dans la nuit, parmi la vague clarté de la neige, entre les masses de sapins noirs, — et toute bourdonnante de vieux noëls ?

La messe entendue, les Mandrins firent joyeux réveillon, et c’est ainsi que, bien qu’ils fussent pressés, nos compagnons restèrent à Fix-Saint-Geneix jusqu’à onze heures du matin, où ils quittèrent l’auberge de la veuve Fontaine, conduits par plusieurs guides. Ils longèrent les bois de Fazeilles, de Ninirolles, de Saint-Jean-de-Nay, et arrivèrent jusqu’à Beyssac, sur la paroisse Saint-Jean-de-Nay, d’où ils montèrent à la Sauvetat, village écarté, dominant les hauteurs sur la route de Pradelles. Deux chemins y conduisaient. Les contrebandiers prirent le plus mauvais, sans doute pour dérouter les soldats attachés à leur poursuite. Ils atteignirent la Sauvetat sur les cinq heures du matin.

Mandrin s’est ressaisi. Il va reparaître devant nous, et sans faiblesse nouvelle, tel que nous l’avons connu jusqu’à ce jour, présidant avec fermeté à la direction de sa troupe.

Les Mandrins arrivèrent donc à la Sauvetat-en-Velay, le jeudi 26 décembre, sur les cinq heures du matin. A pareille heure, en cette saison, l’obscurité était complète. Le capitaine Iturbi de Larre, avec les cavaliers de La Morlière, y était depuis une heure.

Au moment même où Mandrin avait quitté Beyssac, Iturbi de Larre y était arrivé avec ses soldats. Il y avait pris ses informations et un paysan lui avait dit que les contrebandiers s’étaient engagés dans les sentes qui conduisaient à la Sauvetat.