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Ce dont Jettchen s’étonne, songeant à la pluie qui frappe les vitres. Là-dessus, tout le monde embrasse Jenny, et trouve qu’elle s’est très bravement tirée de son compliment. Et Jules prend dans ses mains l’étui de cuir, qui avait fait l’effet, à Jettchen, d’une petite contrebasse, et il le lui offre, et Jettchen, en l’ouvrant, en voit sortir un scintillement rouge et or. « Ce sont des aigues-marines et des topazes, — lui dit Jules, — et elle va les suspendre à son corsage, et elles lui donneront tout l’air d’une reine, que d’ailleurs elle est vraiment, — à savoir, la reine de son cœur. » Et Salomon s’approche, à son tour, avec un autre étui de cuir, qu’il a tiré de la poche de son habit, sous son mouchoir ; et il dit à Jules que c’est là une montre, mais trop belle pour être portée tous les jours. La montre vient encore du magasin de son père : un prince, autrefois, l’a commandée, mais il a négligé de la payer, et ainsi on l’a gardée…

Tout à coup Jettchen se retrouve dans sa chambre, qui n’est plus sa chambre, et la servante s’occupe à brosser le nouveau manteau à capuchon qu’elle va devoir mettre, pour aller à la synagogue. Et voici qu’arrive Jules, tout grave et solennel, portant un petit bouquet de myrte à la boutonnière de son frac neuf ; et Jettchen demande où sont sa tante et son oncle. Car elle veut décidément leur dire qu’elle ne se sent point la force de « régler leur compte », que, décidément, elle ne le peut pas. Mais la servante lui répond que M. et Mme Gebert sont partis en avant, depuis une demi-heure déjà ; et Jules ajoute qu’il faut bien que la tante et l’oncle prennent les devans, puisque c’est eux qui font tous les frais de la noce… Maintenant elle se voit debout, seule avec Jules, sous un baldaquin ; et devant elle apparaît un homme tout vêtu de noir, avec un collet blanc, et elle l’entend réciter, d’une voix caverneuse : « L’anneau est rond, rond est l’anneau, symbole de Dieu sans commencement et sans fin ! » Et Jettchen a si peur que ses genoux fléchissent. L’homme noir, cependant, continue à parler ; elle s’efforce d’écouter, mais elle ne peut saisir le sens des paroles, et leur bruit seul lui parvient nettement : « Oui, c’est à juste titre que ses parens, prévoyant l’avenir, lui ont donné le nom de Salomon, de celui dont l’Écriture nous apprend qu’il a été le plus sage entre tous les mortels ! ». Et, tandis que Jettchen se demande ce que cela peut signifier, voici que l’homme noir s’adresse à elle : « Et vous, chère fiancée, sortez maintenant de la précieuse demeure de vos chers parens, pour aller dans la précieuse demeure de votre fidèle mari ! » Et elle voudrait crier, Jettchen, que cela n’est point vrai, et que jamais elle ne consentira à faire cela : mais un nuage lui passe devant les yeux, et elle comprend qu’on l’interroge, et que quelque chose répond en elle ; et elle sent un contact sur sa main, et derrière elle s’élève une clameur confuse, et cinquante lèvres s’appuient sur ses lèvres, molles et dures, jeunes et empâtées, sèches et humides…

Maintenant le dîner s’achève, parmi des rires dont tous les éclats retentissent étrangement dans son cerveau. Et, pendant qu’elle tache à comprendre les discours, toujours ses yeux se tournent, secrètement, vers le gros petit homme qui est assis près d’elle, et qui ne s’interrompt de manger que pour lui offrir des morceaux, pris dans sa propre assiette : « Mange donc, Jettchen, profite de ceci ! » L’épouvante s’est installée désormais au