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maison de campagne à Charlottembourg. Alors Kœssling, après de longues hésitations, se décide à dire à Jettchen qu’il l’aime, et à lui demander de devenir sa femme. Elle est seule, précisément, ce jour-là, dans la maison de Charlottembourg. Elle accepte de se promener avec Kœssling dans le parc voisin, et tous deux ont l’impression de vivre un rêve enchanté, errant lentement sous les vieux arbres, à la nuit tombante. Mais bientôt la réalité se rappelle à eux. Malgré les instances de Jason, les deux autres oncles s’opposent absolument au mariage de leur nièce avec un chrétien. Ils ont trouvé pour elle un mari plus sortable, un jeune cousin de leurs femmes, — car les deux frères se sont mariés avec deux : sœurs, — Joël (ou Jules) Jakoby, que d’ailleurs ils méprisent pour sa bassesse d’âme et sa grossièreté, mais qui est de leur race, et doué d’un véritable génie pour gagner de l’argent. En vain Jettchen les supplie de lui épargner, au moins, ce mariage qui lui fait horreur : l’oncle Salomon lui rappelle qu’elle est pauvre, qu’elle lui doit tout, et qu’elle a « un compte à régler » avec lui. Une dernière fois, la malheureuse enfant revoit l’homme qu’elle aime ; et le roman s’achève par un tableau de son mariage avec Jules Jacoby.

J’ai résumé, de mon mieux, la simple et touchante histoire qui constitue l’intrigue de ce roman. Mais je voudrais pouvoir dire avec quelle vérité et quelle émotion l’auteur a traité cette histoire, avec quel art il a su nous rendre vivantes les deux figures de Jettchen et de Kœssling, et combien, surtout, il a su nous les rendre chères, à tel point que la scène de leurs adieux, infiniment simple, elle aussi, nous cause une sensation de souffrance presque matérielle. Il y a là des scènes d’amour qu’un poète, seul, a pu imaginer avec autant d’harmonieuse tendresse et de grâce tragique. Et autour de ces scènes se déroule la peinture d’une époque, savamment reconstituée jusque dans les moindres détails des costumes, de l’ameublement, des préoccupations politiques et des goûts littéraires. Et, tout cela, encore, ne nous apparaît qu’au second plan : car l’objet principal de l’auteur a été, nous le devinons, de nous décrire quelques types de la société juive. C’est dans son évocation de ces types divers, en tout cas, qu’il nous a montré le plus clairement son remarquable talent d’observateur et de portraitiste. Les deux oncles mariés de Jettchen et leurs femmes, l’oncle Jason, le fiancé Jules Jacoby, et vingt autres figures d’un relief saisissant, non