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supposerait écrit par un contemporain de Reuter ou de Fontane, si la finesse discrète des nuances, la vigueur passionnée de l’accent, la riche et savante modulation du style, ne nous révélaient, chez l’élève et le continuateur de ces vieux maîtres, une jeune âme n’ignorant rien de nos rêves et de nos curiosités d’aujourd’hui. De tous les romans publiés en 1907, celui-là est, à n’en point douter, le plus beau. Directement sorti de l’école des romanciers allemands du siècle passé, il n’en offre pas moins une physionomie très originale, aussi bien par la singularité de son sujet que par l’élégance et la sûreté de son exécution. Une « chronique, » la peinture détaillée d’un milieu social, avec une intrigue constamment entre-coupée de portraits, de paysages, de scènes épisodiques : mais ni l’intrigue, ni ces digressions ne ressemblent à celles d’aucun autre roman, ni jamais l’auteur ne nous fatigue ou ne nous ennuie, jamais nous ne nous interrompons de prendre plaisir à la série diverse des images qu’il prend un plaisir infini, lui-même, à évoquer devant nous.

Jettchen Gebert, le roman de M. Georges Hermann[1], est une peinture des mœurs de la bourgeoisie juive, à Berlin, dans la première moitié du siècle passé. Une jeune orpheline, Henriette (ou Jettchen) Gebert, a été recueillie et élevée dans la maison de l’un de ses oncles, Salomon, commerçant très habile, dont le magasin de « nouveautés, » créé depuis peu de temps, prospère et se développe avec une rapidité merveilleuse. La jeune fille a deux autres oncles : Ferdinand, qui vend et loue des voitures, et Jason, vaguement associé au commerce de Salomon, mais qui est à la fois l’ « artiste » et le « raté » de la famille. Grand flâneur, passionnément curieux d’art et de littérature, ce Jason est le seul des Gebert qui ne se refuse pas à fréquenter des chrétiens ; et c’est lui qui, un matin de printemps, présente à sa nièce un jeune écrivain de ses amis, Frédéric Kœssling, fils de pauvres paysans des environs de Brunswick. Le soir de ce même jour, Jason emmène Kœssling à dîner chez Salomon ; et les deux jeunes gens causent, font de la musique, et, dès lors, sentent que leurs deux cœurs sont unis pour toujours. Après quoi Jettchen reprend le cours habituel de sa vie, et les mois se passent, l’été arrive, et les Gebert s’installent dans une

  1. Jettchen Gebert, par G. Hermann, un vol. Berlin, librairie Egon Fleischel, 1907.