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Je dois ajouter que les auteurs de ces romans ne se bornent pas à reprendre la coupe extérieure des « chroniques » de leurs devanciers, mais s’efforcent encore à transporter, dans leurs sujets « modernes, » les vieilles qualités d’émotion et de bonhomie qui constituent le charme principal des chefs-d’œuvre de la prose allemande. J’ai eu l’occasion de rappeler tout à l’heure une première tentative qui a été faite en Allemagne, vers 1890, pour créer un roman « naturaliste, » sous l’inspiration directe de Zola et de ses élèves. La tentative a échoué, et non point à cause de la forme donnée par les romanciers à leurs tableaux de mauvaises mœurs, mais parce que ces jeunes gens empruntaient à nos « naturalistes » français un esprit d’ironie et de dénigrement, le moins fait du monde pour être apprécié de leurs compatriotes. Poussant jusqu’au bout l’imitation de l’école de Médan, ils étaient amers, sarcastiques, pleins de mépris pour les misérables créatures qu’ils nous décrivaient. Combien plus intelligente est l’attitude des « naturalistes » allemands d’aujourd’hui ! Ceux-ci ne songent pas à sourire, devant la chute et les infortunes de leurs « femmes perdues. » Ils nous montrent ces créatures entraînées à leur perte par une fatalité invincible ; et puis, lorsque la fatalité a eu raison de leur résistance, ils les plaignent, et pleurent et gémissent avec elles, et s’occupent constamment à nous les faire aimer en nous révélant, chez elles, des trésors de tendresse et de résignation.

Ainsi procède, par exemple, Mme Marguerite Bœhme, dans son Histoire de Dida Ibsen[1]. Mme Bœhme est, d’ailleurs, une des initiatrices du genre en question : son Journal d’une femme perdue, publié il y a deux ou trois ans, a donné lieu déjà à une quantité innombrable de « journaux » ou de « confessions » analogues. Et voici que Mme Bœhme elle-même, émerveillée de la fortune singulière de ce premier livre, n’a pu résister au désir de le recommencer : car son Histoire de Dida Ibsen, aussi bien par le sujet et le plan général que par tous les procédés de l’exécution, est proprement une réplique de son Journal d’une femme perdue. Mais il faut reconnaître que, dans l’un comme dans l’autre de ses deux romans, l’auteur s’est rendu compte, avec beaucoup de finesse et de pénétration, des goûts littéraires du public à qui elle s’adressait. Sa Dida Ibsen, en

  1. Dida Ibsen’s Geschichte, par Margarete Bœhme, 1 vol., Berlin, librairie Fontane, 1907.