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sous le nom de « réaliste, » et que l’on serait tenté d’appeler aussi « galant, » ou « érotique, » voire « pornographique, » si ces mots ne s’accompagnaient toujours d’une vilaine idée de spéculation sur des goûts tout à fait étrangers à la littérature.

Et ce n’est pas que cette spéculation elle-même soit inconnue de nos voisins d’outre-Rhin. Les journaux allemands ont reproduit, ces jours passés, la lettre suivante, que vient de recevoir une importante maison d’édition berlinoise :


Je prends la liberté de vous demander si vous ne seriez point disposés à vous charger de l’impression et de l’édition de romans sensationnels qui, par leur allure libre et piquante, dépassent de beaucoup non seulement Zola, mais même Casanova. L’auteur n’y expose que des faits réellement arrivés : mésaventures conjugales, divorces de femmes d’officiers,… etc. Ces romans, d’un débit éminemment fructueux, ne vous seraient pas cédés en toute propriété : mais vous pourriez retenir une commission très élevée sur le produit net de la vente, et vous réserver la moitié des sommes résultant des traductions qui ne manqueront pas d’être faites dans toutes les langues étrangères. Les quatre premiers romans sont prêts pour l’impression…


Mais, à côté de ces ouvrages, dont on peut bien dire qu’ils sont « d’un débit éminemment fructueux, » le nombre grandit sans cesse, en Allemagne, de romans qui, tout en étant écrits avec un souci évident de bonne tenue littéraire, ont pour sujet des histoires de « filles » ou de « femmes perdues, » des histoires pareilles à celles que se plaisaient à nous raconter, naguère, nos romanciers de l’école « naturaliste. » La vogue de ces romans est si grande qu’elle a pénétré, désormais, toutes les classes de la société : au point qu’il n’est pas possible au critique de la négliger, dans une revue de la situation présente du roman allemand. Et c’est au récit de ce genre d’histoires que nous voyons employer, tous les jours, la forme qui a servi jadis aux Storm et aux Reuter pour dépeindre l’honnête simplicité des mœurs campagnardes ou bourgeoises de leur pays. La plupart de ces romans nouveaux nous sont présentés comme des « mémoires » ou des « confessions. » L’héroïne nous expose minutieusement tout le cours de sa vie, depuis les gentils rêves bleus de son enfance jusqu’aux plus pitoyables effets de sa dégradation, multipliant les figures et les scènes épisodiques, avec autant [de lenteur et de tranquillité qu’en mettrait à ses souvenirs une vertueuse grand’mère qui aurait conçu le projet de raconter son passé à ses petits-enfans.