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du livre n’en reste pas moins tout allemande, et jamais peut-être effort plus heureux n’a été tenté par un romancier allemand pour concilier, avec l’imitation de modèles étrangers, le respect des sentimens, des traditions, et de tout le génie de sa race.

Le principal défaut d’Un Campement d’hiver est de nous offrir deux intrigues distinctes, parallèles, qui s’imposent tour à tour à notre attention, sans qu’un lien intime les unisse l’une à l’autre. L’auteur nous transporte à l’époque de la guerre de Sept Ans. Un régiment russe vient s’installer, pour l’hiver, dans deux villages de la Silésie prussienne, qu’habitent deux vieux gentilshommes ; chacun de ces gentilshommes a une fille, et le major du régiment russe s’éprend de l’une d’elles, tandis que son lieutenant devient amoureux de l’autre. Le major est un personnage un peu énigmatique, cachant son nom véritable sous le « nom de guerre » de Sextus Fabius : mais l’ardente et romanesque Jimena, ayant appris de lui qu’il descend des barons de Gyldensterne, consent à l’épouser, et se donne à lui avec toute la frénésie sensuelle de son jeune cœur, jusqu’au jour où elle découvre que celui qu’elle prenait pour un baron déguisé n’est que le fils naturel d’un valet de chambre ; sur quoi son mari se tue, ne pouvant survivre à cette révélation d’une honte qu’elle serait prête, déjà, à lui pardonner. Le lieutenant de Sextus Fabius, le mecklembourgeois Mettmann, de son côté, emploie ses loisirs à adorer et à servir timidement la charmante Sabine, fille du seigneur d’un village voisin ; mais Sabine tombe au pouvoir d’un troisième officier, le polonais Kominski, brute ignoble qui n’hésite devant aucun crime pour parvenir à la posséder ; et la jeune fille n’échappe au déshonneur que par le suicide, et le pauvre Mettmann s’éloigne, tristement, de la scène tragique de ce « campement d’hiver » pour aller se mettre au service du Grand Frédéric.

Mais ce résumé de l’action du roman ne saurait, comme je l’ai dit, donner qu’une idée très insuffisante de l’intérêt d’un livre qui vaut surtout par la maîtrise de l’exécution. En quelques traits d’une précision vivante, l’auteur évêque devant nous la figure, le caractère, et jusqu’aux attitudes et au ton de voix de ses personnages. La hautaine et voluptueuse Jimena, notamment, et le simple, grossier, et loyal Mettmann, type parfait du soldat de fortune allemand tel qu’on le croirait tiré d’une chronique du temps, nous apparaissent avec un air de réalité