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que la même différence éclate dans la facture du livre, et que l’analyse du caractère de chacun des personnages y est soigneusement proportionnée à l’importance du rôle qu’ils ont à jouer dans l’ensemble du drame.

Ainsi Absolvo te, à en juger par son plan général et tous les détails de sa composition, semblerait pouvoir constituer un très bon roman, et capable d’être apprécié chez nous autant qu’en Allemagne : mais, en fait, je suis sûr que sa traduction n’aurait aucune chance de nous plaire, et je crois bien que le public allemand lui-même n’a pas laissé d’éprouver, à sa lecture, un mélange d’admiration et de répugnance. Car, d’abord, le personnage principal ne rachète l’odieux de ses sentimens et de sa conduite par aucune des qualités qui nous rendent indulgens aux faiblesses de Mme Bovary. L’âme de Sophie Tiralla est si constamment absorbée par la pensée de la mort du vieux fermier que nous entrevoyons à peine le reste de ses rêves et de ses pensées, tout ce qu’il peut et doit se trouver, en elle, de l’éternelle douceur et grâce de son sexe. Dans son zèle à observer les « unités » classiques, Mme Viebig a simplifié à l’excès le caractère de son héroïne, jusqu’au point de faire de celle-ci un monstre, une créature qu’il nous est parfaitement impossible d’aimer. Et ce n’est pas tout : par une inexplicable aberration de goût, elle a voulu encore prêter à ce monstre une piété monstrueuse, qui achève de le rejeter en dehors des vraisemblances humaines. D’un bout à l’autre du livre, Sophie Tiralla invoque la Vierge et les saints, les supplie de l’assister dans ses projets criminels. « Jésus-Christ, Vierge sainte, s’écrie-t-elle dès le début du roman, laissez mourir mon mari, faites qu’il meure !… Vierge très pure, par votre puissance divine et par celle de tous les saints, obtenez qu’il se rende à la ville, et qu’il me rapporte enfin ce poison ! Et vous, Jésus-Christ, assis sur le trône suprême auprès de votre mère trois fois sainte, ordonnez qu’il n’oublie point sa commission, durant tout son voyage, qu’il ne pense pas à autre chose qu’à me rapporter ce poison ! » Cette prière revient à chaque page, sous les formes les plus diverses, soit que Sophie, émue du trésor d’innocence qu’elle découvre chez sa petite fille, s’avise de solliciter l’intercession sacrilège de l’enfant, et contraigne celle-ci à demander, sans le savoir, la mort de son père, ou que, dans un accès soudain d’hésitation, elle supplie les saints de la conseiller, et reçoive