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au cours de ce siècle, c’est dans le roman que l’on en découvrira la peinture la plus complète et la plus fidèle : philosophie et politique, paysages et coutumes, dialectes régionaux, légendes et superstitions populaires, et tout le développement des arts, avec la musique à leur tête, depuis les querelles des classiques et des romantiques jusqu’à celles des wagnériens et des nietzschéens, toutes ces choses y apparaîtront avec une vérité qui aura de quoi suffire, à elle seule, pour rendre impérissable le copieux héritage des Théodore Storm et des Fritz Reuter, des Adalbert Stifter et des Gustave Freytag. Et que si, après cela, le romancier se trouvait être par nature un poète ou un peintre, cette valeur documentaire de ses récits se doublait d’une valeur artistique plus précieuse encore : c’est dans leurs romans qu’un Novalis, un Eichendorff, un Achim d’Arnim, nous ont transmis le plus pur et le plus vivant écho de toute la musique de leurs cœurs. Mais on comprend assez, d’autre part, qu’un semblable idéal du roman, avec sa lenteur et ses digressions, avec son dédain obstiné du mouvement dans l’intrigue et du relief dans le style, n’ait guère pu être accessible qu’à la seule race dont il traduisait le tour d’esprit et le goût naturels ; et l’on n’a point de peine à s’expliquer que, de plus en plus, les romanciers allemands eux-mêmes aient éprouvé le désir de se créer un idéal nouveau, ou du moins de tâcher à renverser, autant que possible, les barrières qui avaient séparé leurs prédécesseurs du reste du monde. En fait, la littérature allemande des cinq ou six dernières années n’a peut-être pas à nous offrir de spectacle plus curieux que la nombreuse et diverse série des efforts tentés, par quelques-uns des plus notoires entre ces romanciers, pour ce que l’on pourrait appeler une « européanisation » de leur roman national.


Non pas que ces efforts soient entièrement nouveaux, et qu’il n’y ait eu depuis longtemps déjà, en Allemagne, des romanciers se piquant plus ou moins d’être « cosmopolites : » encore que leur « cosmopolitisme » ait surtout consisté à imiter de leur mieux, la manière des auteurs parisiens du jour ou de la veille. Mais la vérité est que, pour leurs compatriotes, ces romanciers restaient toujours un peu des étrangers. Le public allemand achetait leurs livres, il leur savait gré d’être plus brefs, plus élégans, plus faciles à lire que les Théodore Fontane ou les Wilhelm Raabe ; mais personne ne s’avisait de les