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d’ordinaire, les romans étrangers : mais l’excellence de leur traduction n’a point suffi à nous empêcher de nous y ennuyer, tandis que nous prenions un plaisir extrême à tel roman de Dickens ou du comte Tolstoï qui nous arrivait tout chargé de grossiers contresens, et défiguré sous le « français » le plus extravagant. Si bien que nous ne pouvons pas nous défendre, aujourd’hui encore, d’être un peu surpris, en voyant les critiques et le public allemands s’accorder à célébrer la grande école de leurs romanciers nationaux. Tous ces hommes dont ils nous vantent obstinément le génie, Gottfried Keller, Fritz Reuter, Gustave Freytag, Théodore Fontane, nous nous disons qu’ils n’auraient point manqué de se frayer un chemin jusqu’à nous, si leurs livres avaient eu, en effet, autant de valeur que se plaît à leur en attribuer l’aveugle sympathie de leurs compatriotes. L’impossibilité où nous sommes de les apprécier, ou seulement de faire connaissance avec eux, nous semble une preuve certaine de leur médiocrité ; et, avec eux, c’est la race allemande tout entière que nous soupçonnons, pour riche et féconde qu’elle soit dans les autres genres littéraires, de n’avoir probablement ni l’instinct, ni le goût du roman.

Telle est, en tout cas, l’idée que très longtemps je me suis faite d’elle, pour ma part : jusqu’au jour où les devoirs de ma profession m’ont contraint à pénétrer dans l’intimité de ses romanciers. Je me rappelle que, pendant mes premiers séjours en Allemagne, vingt fois j’ai essayé de lire des romans allemands, anciens ou nouveaux, ceux dont me parlaient les manuels d’histoire littéraire, et ceux que me signalaient les feuilletons critiques des journaux : mais j’avais beau m’armer de courage, toujours le volume me tombait des mains, après quelques chapitres ; et toujours mon désœuvrement finissait par se rabattre sur des traductions allemandes de romans anglais, russes, Scandinaves, voire même du Cousin Pons ou des Trois Mousquetaires. Et je me rappelle tout ce qu’il m’en a coûté d’avoir, plus tard, à reprendre, et, cette fois, à explorer jusqu’au bout, pour y chercher des renseignemens sur la vie et les mœurs allemandes, ces romans que je m’étais accoutumé à juger illisibles. Mais aussi comme j’ai été payé de mon pénible effort ! Car à peine m’étais-je sérieusement engagé dans mon exploration, que force m’a été de subir, à mon tour, le charme d’un art tout imprégné d’émotion et de poésie, d’un art à la fois ingénu et