Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/902

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

première colonisation prospérera la seconde colonisation, qui bénéficie toujours des soldes. On a payé les erreurs et les témérités : il est temps de recueillir le fruit de l’expérience. Les faillites et les morts sont des enseignemens.


Au milieu de l’active et gracieuse Tamatave, au cœur même de la ville, s’étend son cimetière, plus grand jardin silencieux au milieu des nombreux jardinets de la cité neuve. Ce qu’on sent de puissamment émouvant dans un cimetière colonial, c’est que c’est par lui aussi, et parfois surtout, qu’une race prend possession d’une terre exotique. Il est le premier, le plus constant et le plus touchant monument historique de l’occupation. Ici, à Tamatave, il est le gage, la preuve indiscutable de l’importance qu’a eue la population créole dans la francisation de Madagascar : on ne viendra pas renier ses morts devant ses tombes. Elles se mêlent à celles des soldats, des fonctionnaires, des colons venus d’Europe, elles les embrassent même : les lianes qu’y ont plantées souvent de pauvres négresses, s’attachant au sol, sont allées nouer inextricablement les croix où se lisent les noms de Bretons et d’Alsaciens-Lorrains. Souvent on ne distingue plus d’inscription tant l’humidité des tropiques a vite recouvert de mousse verte le bois, la pierre ou le fer. L’émotion est anonyme et la prière est commune, — prière au passé des uns, sollicitation à l’avenir des autres. Ce spectacle de la mort est une leçon d’entente, et il ne saurait être autre chose pour la race alerte des Français.


MARIUS-ARY LEBLOND.