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poursuivis. » Du haut des maisons qu’ils occupaient et où ils avaient pratiqué des canardières, les dix-huit compagnons, qui avaient assumé la tâche de couvrir la retraite de leurs camarades, faisaient pleuvoir un feu meurtrier sur les chasseurs de Fischer, qui s’efforçaient de dissimuler derrière les haies vives, ou dans le creux des chemins, leurs pelisses rouges et les cocardes blanches de leurs bonnets.

Fischer sentait ses troupes fléchir. Enfin il parvint à mettre le feu dans une ferme où Mandrin avait posté neuf de ses compagnons. Dans la grange s’entassaient jusqu’au faîte les bottes de foin sec. En quelques instans l’incendie fut effroyable : les nappes de flamme, battues par le vent, montaient dans les airs. Les neuf contrebandiers se laissèrent brûler vifs plutôt que de se rendre, fidèles à la consigne du chef, de tenir jusqu’au bout pour assurer la retraite du gros de la bande ; et, de leurs mains calcinées, ils tiraient encore des coups de fusil.

Fischer perdit 7 grenadiers, 5 hussards, 2 officiers et un maréchal des logis. Il eut 57 blessés. Les contrebandiers perdirent leurs neuf compagnons brûlés ; cinq autres furent faits prisonniers, parmi lesquels il y en avait deux qui étaient blessés assez grièvement. On les transporta à Autun.

Mandrin avait perdu dans la bataille son fameux chapeau galonné d’or ; il avait été atteint de deux coups de fusil.

Le marquis d’Argenson, particulièrement renseigné sur ces faits, écrit à propos du combat de Gueunand :

« Fischer a été battu à plate couture. » C’est une exagération, puisque Fischer demeurait maître du champ de bataille. Mais, avec une poignée d’hommes, Mandrin avait décimé les soldats du Roi. Fischer ne put trouver personne qui consentît à lui servir de guide pour continuer la poursuite. Il se mit cependant à cheval, avec ceux de ses chasseurs qui n’étaient pas trop harassés ; mais ceux-ci, pour lestes qu’ils fussent, n’étaient pas hommes à gagner les Mandrins de vitesse.

Chacun dut rendre hommage à la valeur des contrebandiers. « Au cours de l’action, dit le président Terrier de Cléron, ce n’étaient ni des hommes, ni des soldats, c’étaient des diables. » Le correspondant de la Gazette de Hollande écrit que la conduite de Mandrin à Gueunand « passera pour un véritable prodige militaire. » Et Fischer lui-même dut proclamer « que Mandrin s’était battu en brave homme et entendait très bien le métier militaire. »