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à personnifier en la France l’idéal de la justice et de l’humanité, avait mis en elle ses espoirs et sa foi. Et ce fut l’Angleterre qui agit, — par la personne du Révérend Ellis, méthodiste politicien à la fois médiocre et redoutable comme un personnage de Shakspeare, qui fût resté médiocre en Angleterre, mais qui, jeté par sa destinée aventureuse aux pays sauvages, se trouva à l’aise dans un rôle dramatique à la cour exotique de cette reine sorcière, capable des cabales de Richard III. Mis au courant du complot par ses fidèles, il redouta l’avantage que la France pouvait retirer d’une intervention en faveur du jeune roi élevé par Laborde, et fit dénoncer la conjuration à la vieille reine. Tous les chefs désignés périrent dans d’atroces supplices ; un ordre d’expulsion fut prononcé contre les Français. Après vingt-cinq ans de travaux qui avaient avancé de plusieurs siècles l’éducation de l’indigène, Laborde était chassé de Madagascar. Déguisé, car il était menacé de mort par sa mère, Radama venait, la nuit, en sanglotant, faire ses adieux à Laborde. On fit partir les vahazas à petites, très petites étapes, s’arrangeant de façon à les forcer de s’attarder aux étapes les plus malsaines pour les y exposer à la fièvre. Elle tua Mme Pfeiffer.

Quand, en 1861, la mort de Ranavalona livra le trône à Radama, celui-ci rappela son précepteur. Laborde, à sa rentrée en Émyrne, y vit sa Mantasoa réduite en ruines. Mais le crédit que lui avait assuré le passé lui permit d’entreprendre une nouvelle œuvre : il ne voulut reconstruire qu’en plus grand. Il fit décréter par Radama la liberté du commerce et des cultes, et la Compagnie de Madagascar, société française prête à exploiter les mines et les forêts de l’île, fut approuvée par la charte de 1862. Ce n’était plus Mantasoa, sa petite cité ouvrière, qu’il reliait à Tananarive par un trafic industriel, mais toute la France, sa patrie, qu’il mettait en communication avec la Grande Ile par un mouvement continu de navires et d’échanges commerciaux. Alors, — juste au moment où la France, par son commerce, allait pénétrer avantageusement dans l’île, — se déclara et se propagea, comme une épidémie, la conspiration des Ramanenjana. Fous trembleurs, simulant les délires des fièvres paludéennes, ils parcoururent Tananarive, avec des cris effrénés et des danses convulsives, et, se prétendant envoyés au nom de la Reine défunte pour blâmer la conduite du nouveau roi trop favorable aux étrangers, menacèrent de mort les missionnaires chrétiens,