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un effet de sa nature si complexe, riche et ouverte à toutes les sensibilités, encline à l’expansion. Elle est comprimée et comme durcie chez nos paysans par des conditions économiques étroites et rigoureuses : libérée aux colonies, elle y développe spontanément ses latentes qualités d’imagination, son humeur aventureuse, héritée des hardis Gaulois, des goûts et une vocation féconde et enjouée de Robinson qui ne sont nullement l’apanage des Anglais, une ingéniosité riante à tout entreprendre et à réussir avec de petits moyens qui est vraiment bien plutôt française que saxonne. Il y en a beaucoup dont la vie persévérante et inventive devrait être contée par des livres de prix aux enfans des villages : entre toutes, l’histoire de Jean Laborde, le plus généreux nom français de Madagascar, est exemplaire et merveilleuse dans sa rusticité exotique.


IV. — L’EXEMPLE DE JEAN LABORDE

En 1831, une tempête, comme il s’en déchaîne tant dans l’océan des moussons, jetait à Mahéla un jeune Français nommé Jean La borde. Il était Gascon de naissance, et de son métier forgeron. Il avait vingt-cinq ans et revenait de l’Inde où il s’était embarqué pour aller fonder un Empire sur les bords du continent africain.

Un ancien capitaine de la marine marchande de Saint-Malo, Napoléon de Lastelle, s’y était établi déjà. Des ateliers où travaillaient des bandes d’esclaves fournis par la reine à qui Lastelle servait la moitié des bénéfices, y forgeaient des outils que les bâtimens transportaient à l’île Bourbon. Un mouvement continu de vaisseaux de commerce animait cette rade ; et là où nous ne vîmes que des tertres de sable recouverts de lianes comme des tombeaux, on construisait même des navires. Les comptoirs d’échange, des sucreries, des distilleries échelonnées sur la côte avaient constitué à Lastelle une fortune copieuse, et il mesurait à sa richesse son hospitalité qu’il voulait magnifique. Ce Malouin qui, à l’exemple de son compatriote La Bourdonnais, avait développé la vie sur une terre désolée, accueillit chaleureusement le jeune Français revenant des Indes. Justement Ranavolona venait de, le charger de lui chercher un blanc capable de rehausser le prix de son royaume en y élevant des manufactures de canons et de fusils destinés à contenir l’arrogance des Anglais. Lastelle lui proposa Laborde, Et le jeune forgeron qui avait rêvé d’un