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tellement au débit de cette denrée qui, fine, s’écoule sans bruit dans les soubiques. On ne se trouve pas dans le tapage du trafic mais dans le silence des échanges. Dénués de l’éloquence des citadins, habitués au calme des grandes vallées vides et des rizières taciturnes, les planteurs regardent la vente, impassibles, laissent monter le prix, patiens, comme ils ont regardé à mesure pousser le riz. Cependant, sur un canal qui vient épuiser son cours au quai de terre battue, glissent de longues pirogues massives qu’un Malgache, tête nue, assis et les pieds allongés dans des tas de riz, fait avancer en descendant sa main le long d’une perche enfoncée dans la vase. Sans presque qu’on les voie, il survient lentement, ayant navigué de très loin sur des chemins d’eau qui font communiquer les rizières en convergeant vers Tananarive, un grand nombre de ces pirogues creusées comme des cuillers et emplies à pleins bords de ce riz rosé, sous la lumière du matin. Ainsi, production lacustre, le riz est porté en pirogue jusqu’au marché. Dans la fraîcheur bleue de l’air, les lambas sont d’une aussi tendre blancheur que le grain cuit ; la lumière lave la chair orangée des visages ovales ; plus loin, le long du canal où, vides, les pirogues noires, couleur de corne, redescendent abandonnées, des femmes plongent dans l’eau des étoffes rouges, les épaules décolletées, les bras lisses et la croupe ramassée dans le pagne collant qui paraît gonflé comme une soubique. Tout près, contre une pile de riz que surveille sa maman, un gros enfant tout nu, potelé, tel qu’il fait penser au proverbe : « Sois sage, mon petit, mange le riz qui n’est pas en guerre avec toi, » est allongé à terre, les reins au soleil qui rougit la chair bleue de ses petites formes grasses.

Ainsi la plante humble et merveilleuse a déterminé vraiment à elle seule une civilisation laborieuse, enjouée et artiste. Le spectacle, esthétique et réconfortant, en est encore plus instructif. Si nous voulons développer la valeur agricole de Madagascar et obtenir du Malgache le maximum d’activité, sachons voir à quel travail il trouvera de l’attrait en restant attaché au pays et à ses traditions. On peut être sévère et même, à certaines heures, un peu brutal envers des indigènes ; mais il faut les aimer, et cela n’est point si difficile pour qui a de l’intelligence et du sens artistique, car les Malgaches sont très intéressans : les aimant, on les connaîtra et on saura tirer d’eux l’effort qu’ils