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tâchant d’accompagner un peuple dans la succession de ses efforts qu’on peut le mieux parvenir à l’aimer.

Le Malgache n’est point le paresseux que l’on a dit… Quand vient novembre, les villageois s’unissent pour diviser la glèbe des rizières : l’homme plante l’angady, d’un élan brusque y pèse de toute sa consistance, le corps reste quelque temps suspendu à cet effort, puis, son poids faisant basculer l’angady, il sort du sillon une solide motte. Rien n’est beau à suivre de la corniche d’une colline aride comme cet arrachement de chaque morceau de terre correspondant à chaque pesée du corps. Voici que, dans ces enclos lourdement défoncés, s’arrête, immobile, la silhouette du cultivateur : son torse d’un rouge noir et rayé de côtes luisantes ruisselle au soleil comme de l’argile mouillée ; fermement appuyé sur son angady encore si proche de l’arme par sa forme, il paraît être le guerrier de sa terre.

Ainsi blessé, le sol s’aère, respire pendant plusieurs semaines de toutes ses déchirures ; avec du fumier de vache onctueux, ses plaies sont ensuite adoucies et pansées. Puis, introduite d’une façon délicate, graduée, l’eau vient les baigner. Alors les Malgaches mènent leurs troupeaux dans les rizières, et c’est l’entrée en scène de l’animal sur les arènes du travail. Courant derrière les bêtes puissantes, les hommes, avec de grands cris et des gestes hauts, les poussent. On voit les zébus se presser dans un désordre de cornes et une mêlée de bosses, s’enfoncer dans la vase, se relever, puis revenir sur eux-mêmes, tête basse, brisant de leurs sabots les herbes dont la décomposition doit enrichir le sol. Au sommet de ces monumens en escaliers de glaise grasse, quelles vivantes frises sur un ciel brillant comme du mica ! L’homme, presque nu, guide de la main, guide d’une voix gutturale, qui se propage dans l’air limpide des cirques mouillés d’eaux ruisselantes, l’animal de sa race, le zébu national, préparant avec lui la venue de la petite graine merveilleuse.

C’est la saison du travail dans la vie malgache. Les villages sont vides, car tous les hommes sont réunis dans les rizières derrière tous les ruminans qui remuent la terre des ancêtres. Dans le plaisir du travail collectif, l’énergie à certaines heures se détend et se distrait en jeux : le Bézanozano, arrêtant ses bœufs, saute au-devant d’eux, les provoque et lutte dans le plein air des plates-formes ; le paysan interpelle la bête et plaisante avec elle ; les groupes s’apostrophent d’un gradin à l’autre. La nuit