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enfantine adoration. Amphithéâtres du travail tranchés dans la terre rang à rang à l’angady par de lents ouvriers, qui, procédant d’en bas, ne concevaient pas la grandeur de leur œuvre telle qu’elle apparaît vue de haut, ce sont, si l’on veut, les temples du Riz. Et ceux à qui la considération des paysages madécasses n’a pas suffi à expliquer l’âme foncière de la race et qu’a déçus l’absence d’important monument littéraire ou artistique, s’attachent longuement au spectacle de la rizière, cherchant à y apprécier le génie malgache aussi légitimement qu’on a admiré le génie égyptien dans les Pyramides, le génie babylonien dans ses tours et presque le génie indien dans ses pagodes. Les rizières qui, marche à marche, gravissent les versans des collines jusqu’à des centaines de mètres, attestent des dispositions persistantes à s’élever toujours plus haut, une patiente obstination à étager ses efforts, une sorte de plaisir instinctif de cet insecte humain qu’est le Malgache, tenant de la cigale mais aussi de la fourmi aux minutieuses mais grandes industries, à attaquer les formations géologiques pour les domestiquer, pour les assujettir à la discipline d’une exploitation.

Comme on admire dans un monument de l’antiquité le nombre de générations humaines qui se succédèrent devant leurs façades patinées, contemplons ici le nombre d’années qui à un gradin superposa un autre gradin : véritable architecture du temps. Il convient qu’on y médite dans notre nation dont, plus que d’aucune autre, les artistes et les officiers savent découvrir et respecter le génie des races primitives, mais dont les colons s’acharnent avec grossièreté à rabaisser l’indigène. C’est par un effort inconscient, léger et agréable parce qu’il était collectif, que cette race, traitée trop gratuitement de paresseuse, édifia ces gigantesques amphithéâtres de travail ; elle y est parvenue, sans le secours d’autrui, par la patience, une très juste répartition de l’effort dont notre administration devrait avoir constamment souci. On ne saurait assez songer au plaisir qu’ont les Malgaches à travailler en communauté : il s’élève des accords de ces grandes lignes se répétant, se reprenant, se prolongeant, une harmonie orchestrale du labeur collectif qui n’est pas seulement suggestive pour l’artiste, mais pour le conquérant législateur.

A l’invite de ces larges dessins flexueux rampant jusqu’à l’horizon, suivons la ligne selon laquelle se déroulent les travaux de la vie dans ces vallées rayées. C’est d’ailleurs bien en