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nuances insaisissables, ambrées et roses, de la poussière de riz.

Telles, les rizières de plaines et de vallée, rayonnant de Tananarive vers les horizons changeans, obsèdent les yeux d’une vision chatoyante de mirage lacustre. Composées de mille pièces juxtaposées l’une à l’autre et comme cousues entre elles suivant les lignes en bourrelets des sentiers de terre, elles figurent de grandes nattes tissées de nuances où descend se coucher le ciel, et étendent sous les regards une langoureuse beauté de tressage qui concorde avec le génie vannier des Malgaches. Celles qu’on rencontre en voyageant de Tananarive vers l’Ankaratra et vers le Betsiléo imposent à l’imagination, avec une pompeuse gradation, le sentiment d’une beauté d’architecture. Plus encore que la case aux poutres entaillées, que le tombeau aux dalles sculptées, la rizière est le monument national malgache, rustique, mais grandiose forme d’art à laquelle a atteint à travers les âges le travail indigène fait en collectivité.

S’étageant du fond évasé des rivières, des talus, taillés dans ta pente des versans, superposent jusqu’à leurs cimes des terrasses égales ; et de la base au sommet, leur dessin, qui ondule aux flancs des contreforts en longs lacets, répète en les multipliant sous le ciel les tortuosités de la vallée et les serpentemens des arêtes des collines. Quand l’on sort d’un de ces défilés d’où l’on voit les montagnes s’abaisser vers l’horizon en alternant l’avancée de leurs profils arrondis, on demeure confondu à l’innombrable aspect de ces zébrages par grandes lignes flexueuses de terre noire et d’eau blafarde, sous lequel les altitudes de la nature ont été transformées par le travail du paysan en des déroulemens sans fin d’escaliers en cascade que la lumière du ciel descend marche à marche sur des étendues illimitées. Contemplées ainsi de haut à l’époque où elles sont inondées d’eau et d’azur, elles paraissent de miroitans gradins de jardins suspendus, étages d’une Babel agricole. Assoupi par la traversée d’une brousse inculte, qui couvre pendant des lieues des plateaux identiques, on ne se réveille pas sans émotion devant ces manifestations architecturales de la volonté humaine. Le vide de l’espace les amplifie encore. Ce sont les monumens qu’un peuple, qui n’avait pas élevé de temples magnifiques parce qu’il n’avait pas de religion, parvint toutefois à édifier en étendant ingénieusement de la vallée à la colline la culture du riz auquel, dans une mystique reconnaissance, il avoué depuis les temps une