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II. — LA CIVILISATION DU RIZ

Que l’on parvienne au haut d’un de ces mamelons de terre cendrée aux pentes desquelles pullulent avec des formes de champignons d’énormes blocs de pierre violette, on reste émerveillé de découvrir dans les fonds des vallées ces grandes surfaces liquides qui étendent sur la pourpre monotone du sol malgache les clartés pâles et changeantes du ciel du Sud. Immédiatement, devant les perspectives ininterrompues, on se sent saisi d’admiration pour l’industrie primitive de ces hommes qui, fermés entre des montagnes sur ces plateaux élevés, surent multiplier des étangs artificiels pour y retenir captives les eaux tombées en pluie ou infiltrées en sources aux bases des collines, les empêchant de s’écouler vers les côtes où la fièvre leur interdisait à eux-mêmes de descendre.

C’est à l’époque où elles sont inondées qu’il convient de voir les rizières : toute une géométrie de petits talus découpe en une subdivision innombrable de rectangles inégaux ces grands miroirs d’eau, biseautés aux échancrures de la vallée où ils s’encadrent. On s’étonne de l’art linéaire avec lequel les hommes ici ont distribué entre eux la terre. A se laisser séduire par les dessins en mosaïques, les cloisonnemens, les morcellemens de ces jardins d’eau, on comprend, en pénétrant l’âme indigène jusque dans son animalité, la beauté naturelle du partage accompli avec un zèle à la fois méthodique et instinctif, un génie d’avarice affiné de poésie. Le Malgache aime et sait admirer sa rizière. C’est ici la simple, la nue-propriété, quadrillée à l’infini par des lignes aussi agréables dans leurs réseaux d’harmonie que celles qui circonscrivent les alvéoles d’une ruche ou les cercles brisés en mille rayons des toiles d’araignées. Jamais sur le globe la propriété, — qui est ici à la fois collective et répartie, — ne se montre sous une apparence plus légère, plus superficielle. Dans ces grands parcs d’eau du ciel où l’homme fait pousser la graminée dont le grain le nourrit, celui qu’on voit passer, s’avançant en équilibre sur un de ces sentiers de boue, mince, frêle, y apparaît aussi ténu et aussi passager sur la terre qu’un oiseau, avec un pâle reflet d’aigrette à la surface satinée… Les montagnes y projettent leur image, posées l’une après l’autre sur l’horizon comme des tas triangulaires poudroyant de toutes les