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contre elles se dressent les forces de gouvernement qui leur font obstacle et qui les arrêtent, — chez nous, les forces de gouvernement et les forces de révolution tendent déplorablement à se confondre.

Qu’on ne nous parle donc pas d’anarchie spontanée. L’anarchie où nous sommes n’a rien de spontané. C’est une anarchie provoquée. Elle n’est pas née de « l’ingouvernabilité » du pays, mais bien du non-gouvernement du gouvernement. Serait-ce tant mieux ? En sera-t-elle moins difficilement guérissable ? Les caractères en étant fixés, les causes isolées, les symptômes distingués, il faut, en tout cas, les reprendre un à un, et chercher, pour chacune des attaques du mal, le remède approprié. Sans doute, il est telles de ces causes, celles que nous portons dans l’âme et dans le cerveau, comme incorporées à notre être, et que nous ne pouvons supprimer que par la correction, par la transformation de nous-mêmes, il en est qui ne disparaîtront que péniblement, si même elles disparaissent ; mais il en est d’autres qui pourraient céder. Le suffrage universel inorganique est une des causes de l’anarchie : organisons-le ; la déviation du parlementarisme en est une : rectifions-le ; la confusion des pouvoirs en est une : faisons-les rentrer dans leurs cadres ; la prédication antipatriotique, la propagande de l’indiscipline, la contagion de la désobéissance en est une : étouffons-la. Par-dessus toutes les autres, la défection, la syncope du gouvernement, la perte du sens de la loi, du sens de l’État, bientôt, hélas ! du sens de la nation, en est une, la cause principale, la cause capitale : restituons-le. Laissons s’en aller où le flot l’emporte ce que Carlyle disait qu’est le gouvernement du Pas-de-Gouvernement ! Et, quels qu’en puissent être les dépositaires d’un jour, si nous voulons vivre, — et c’est de vivre ou de mourir qu’il s’agit, — sachons nous refaire un gouvernement qui sache, lui, et qui veuille, et qui puisse être, comme il doit l’être, un gouvernement.

Charles Benoist.