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Par lui, le mal s’est étendu aux organes mêmes de la vie nationale qu’il eût fallu à tout prix préserver : à l’armée, à la marine, pour ne plus parler de la justice. Des mois et des mois durant, il a été officiellement, en ce pays, le grand prêtre du culte de « l’Assiette au beurre ; » il n’est point de ville, point de village où il n’ait fondé ou encouragé quelque confrérie de la candidature perpétuelle, et à ses bons soins, le Bloc, cette « féodalité électorale, » le radical-socialisme anticlérical, ce « jacobinisme de la blague, » doivent un accroissement et un regain de prospérité. Fort peu lui chaut de ce que sont devenues en tout cela les choses pour quoi il y a un gouvernement et pour quoi l’on est au gouvernement. Il éprouvait à peine le besoin de s’en occuper, et voici, par exemple, les réflexions que suggérait son attitude dans les premières grèves viticoles de l’Hérault :

Le second mode d’activité par lequel s’est notoirement signalé le ministère de l’Intérieur, depuis que M. le président du Conseil, « appuyé sur l’inébranlable force du Bloc, pratique avec esprit de suite sa politique, » ce sont les grèves. Certes, la grève non plus, M. Combes ne l’a point inventée, et il serait absurde d’en vouloir rejeter la faute et la responsabilité sur lui seul. Il y avait des grèves avant lui, il y en aura après lui ; il y en a depuis longtemps, depuis des siècles, dans une organisation du travail comme dans l’autre ; peut-être y en a-t-il toujours eu, et peut-être y en aura-t-il toujours. Mais ce qui est, en matière de grèves, la marque du ministère Combes, et pour ainsi dire le sceau dont il les contresigne, c’est le caractère révolutionnaire qu’elles ont pris, et qu’elles n’avaient pas, ou qu’elles avaient beaucoup moins, sous les ministères précédens. Sous les ministères précédens, les grèves étaient un désordre dans l’ordre ; sous celui-ci, comme on sent qu’elles sont tout bonnement un désordre de plus dans l’universel désordre ! Jamais, je pense, avant M. Combes, aucun président du Conseil n’avait osé parler, publiquement et solennellement, de « grève modèle ; » car enfin, personne ne le conteste, le droit de grève est un droit, mais c’est tout de même un droit dont l’exercice est un malheur. Et jamais, je pense, avant M. Combes, aucun ministre de l’Intérieur, couvrant son secrétaire général, n’avait, dans une circulaire aux préfets, insinué que les grévistes, étant ses amis, lui devaient tout au moins cette attention de ne pas fournir un argument à ses adversaires. Voilà, ou on ne l’a jamais entendu, le langage d’un gouvernement et d’un chef de gouvernement ! Mais l’aveu est à retenir : ceux qui, à coups de poing et à coups de pied, empêchent les ouvriers de travailler, ceux qui pillent les récoltes et donnent l’assaut aux maisons, ceux qui établissent, de leur autorité privée, des barrages et font circuler des patrouilles sur les chemins, ceux qui soumettent à leur laissez-passer le droit d’aller et venir, qui est le premier des « droits naturels et imprescriptibles » de l’homme, et tant d’autres droits, également naturels et imprescriptibles,