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Entre lui et le pays s’élève une muraille que rien ne perce. Le seul vent qui y pénètre, c’est celui que soufflent de la tribune des bouches jamais closes. Toute la politique est « parlée. » Elle n’est que « parlée. » Des mots, et moins encore, de la musique, de l’air plus ou moins artistiquement travaillé. Des ballons de baudruche, des bulles de savon. Proclamations, programmes, projets, que de fois chant et chantage ! Surenchère et duperie, tumulte et stérilité. Mystification. Comme il faut faire quelque chose, ne fût-ce que faire mine de faire quelque chose, et faire beaucoup mine de faire un peu, s’entassent lois sur lois bâclées à l’aveuglette, votées dans le noir par des législateurs dont les trois quarts ne savent pas et ne s’inquiètent pas de savoir de quoi il s’agit. Étranges législateurs ! D’où viennent-ils ? Où ont-ils appris le métier ? Médecins avec leur recipe, pharmaciens avec leur codex, ils jurent qu’ils ont reçu de la Faculté licence de couper, saigner et purger « le corps social ; » avocats, ils ne demandent qu’à plaider ceci et cela. Ainsi le personnel parlementaire se recrute en trois ou quatre professions politiquantes, et ainsi s’impatronise, s’intronise le politicien professionnel. Bientôt, comme aux États-Unis, tout ce qui pourra vivre autrement et voudra vivre honoré se retirera, s’enfermera chez soi.

À ce régime médiocre, et pas très relevé, la France, qui a le goût de la gloire et même du panache, ne s’est pas attachée d’une violente amour. Elle regarde d’assez loin, stupéfaite et prostrée, un jeu où la moitié du parlement ne travaille qu’à chasser du gouvernement l’autre moitié, et, si elle ne le peut, qu’à l’empêcher de gouverner. Que ce soit d’ailleurs une moitié ou l’autre, les sages et les indépendans n’en conçoivent ni plus de joie ni plus de colère, rebutés qu’ils sont de voir tous les gouvernemens, formés comme au hasard d’une « réussite, » amener au pouvoir ce qu’il y a de moins qualifié pour le pouvoir, et ils se considèrent comme en règle avec eux-mêmes quand ils se sont dit une bonne fois que, pour si grande que soit la part de l’absurde en ce monde, c’est tout de même par trop absurde. Le reste, qui n’est pas indépendant, et qui ne se soucie pas d’être sage, interroge anxieusement la girouette, afin de savoir si le vent va se mettre à la pluie des places, emplois, sinécures, pensions, missions, subventions, croix, palmes, rubans, bénéfices et « petits profits. »

Cependant, nos politiques improvisés s’enfoncent et nous enfoncent en une politique toujours plus « incohérente, » emportés,