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duperie, une grande « turlupinature, » avec un mépris réciproque. D’où encore l’inclination de ceux qui font partie des assemblées à croire qu’ils sont tout et qu’ils peuvent tout, et de ceux qui n’en font pas partie à croire que les assemblées ne font rien et ne peuvent rien, — à moins que ce ne soit l’opposé, qui est aussi faux. Ainsi le parlement devient peu à peu étranger et extérieur à la nation de plus en plus indifférente ou hostile au parlement ; l’opinion publique, trop simpliste pour distinguer entre les actes et les personnes, de goûts grossiers, chaque jour tiraillée et remuée brusquement, se repaît de médisances, s’abreuve de calomnies ; par le discrédit, mérité ou immérité, des hommes qui figurent soit dans les Chambres, soit au gouvernement, les Chambres en bloc et le gouvernement en soi tombent dans une déconsidération funeste au pays tout entier. Déconsidération qui, du reste, n’est qu’en partie « volée, » comme on dit, qui se justifie ou s’explique par ce genre inférieur de parlementarisme qui fonde en haut le règne du verbe, en bas celui de l’argent, et pour qui la fraude est un fait semi-institutionnel.

............Mutato nomine, de te
Fabula narratur…

Arrêtons-nous, et méditons, si, dans ce portrait du voisin, nous nous sommes reconnus.


II


Il nous serait difficile de ne pas nous reconnaître. J’ai dit que, depuis longtemps, le mal nous avait envahis et que, depuis longtemps, les symptômes en étaient certains ; que, depuis quinze ans et plus, on aurait pu, on avait pu mesurer la vitesse et repérer les distances dans cette course à l’abîme. Dès 1890, quiconque regardait et réfléchissait en France devait être péniblement affecté de constatations qu’il eût préféré n’avoir pas à faire. C’était d’abord, à la base de tout, le mauvais choix du personnel parlementaire emportant comme conséquence une mauvaise direction gouvernementale ; l’intrusion de plus en plus hardie dans la représentation nationale du politicien professionnel en son espèce la plus vulgaire, celle que Gambetta qualifiait de « sous-vétérinaire ; » et, au bout du compte, comme, après le 24 mai 1873 et surtout après le 16 mai 1877, il avait fallu « sauver » la République, la « sauver » par n’importe qui, avec n’importe quoi, un abaissement continu de niveau, chez la plupart des députés, de qui étaient et demeuraient ignorés les premiers élémens de la politique, non par inintelligence naturelle, mais par défaut de préparation, par improvisation d’une vie nouvelle, qui ne s’im-