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l’on ne baisse le prix des provisions, et si l’on ne supprime le droit de la province sur le vin, le poisson et la viande. » À Limoux, « sous prétexte de rechercher les grains, il pénètre chez le contrôleur et chez les fermiers des impôts, emporte leurs registres et les jette à l’eau avec le mobilier des commis. »

S’il entre là-dedans des motifs et quelquefois des élémens suspects, si « des étrangers, des Italiens, des bandits se sont mêlés aux paysans et aux ouvriers, » si « l’on entend des paroles, l’on voit des actes qui annoncent une jacquerie, » néanmoins, « les nouveautés politiques sont l’étincelle qui met le feu à l’amas de poudre… L’imagination populaire est allée droit au but comme un enfant : les réformes étant promises, elle les croit venues, et, pour plus de sûreté, elle les exécute à l’instant : puisqu’on doit nous soulager, soulageons-nous. » Déjà la foule extasiée appelle le miracle législatif. « Les grands mots ont fait leur effet ; on a dit aux gens que les États généraux allaient opérer « la régénération du royaume ; » ils en ont conclu « que l’époque de la convocation devait être celle d’un changement entier dans les conditions et dans les fortunes. » Les seigneurs, les princes, l’État, à partir d’aujourd’hui, c’est nous ! « Ils traitent les magistrats en domestiques, édictent des lois, se conduisent en souverains, exercent la puissance publique, et, sommairement… établissent ce qu’ils croient conforme au droit naturel. » Rien ne leur échappe : ici, « le gourdin à la main, ils obligent… un père à donner son consentement au mariage de son fils ; » là, « ils exigent de M. le lieutenant criminel et de M. l’avocat du Roi l’élargissement des prisonniers. »

Bientôt, devant le flot qui monte, « la maréchaussée est découragée. » Les vagabonds affluent surtout autour de Paris. Ils vont par compagnies de cinq ou six cents. « Pendant les derniers jours d’avril, les commis voient entrer par les barrières un nombre effrayant d’hommes mal vêtus et d’une figure sinistre. » Dès les premiers jours de mai, on remarque que l’aspect de la foule est changé : il s’y mêle (comme hier dans le Midi) « une quantité d’étrangers, venus de tous pays, la plupart déguenillés, armés de grands bâtons, et dont le seul aspect annonce tout ce qu’on en doit craindre. » Foule qui a peu à perdre, tout à gagner, et que ses cupidités comme ses souffrances font facilement agressive. Elle n’a même pas attendu, pour s’essayer, l’année 1789. « Le 7 juin 1788, à Grenoble, les tuiles pleuvent