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L’ANARCHIE PROVOQUÉE


Ce pays-ci est malade. Quelque chose du moins est malade en lui : il n’y a ni à nous le cacher, ni à le lui cacher, ni à essayer, par piété ou par pudeur, de le cacher à personne. La vraie pudeur n’a pas de ces fausses hontes qui peuvent être mortelles, et la vraie piété consiste, aux heures critiques, à dire tout haut les vérités qui peuvent être salutaires, pendant qu’elles peuvent l’être, et puisque c’est le seul moyen qu’elles le soient.

Le médecin politique qui, penché sur ce corps le plus souvent inerte et parfois frémissant, aurait observé depuis une quinzaine d’années les alternatives d’abattement et d’agitation par lesquelles nous avons passé, depuis une quinzaine d’années aussi aurait fixé son diagnostic, et n’aurait aucune peine à nommer, sinon à guérir notre mal. Le cheminement en est resté longtemps couvert, et puis il a tout à coup éclaté au grand jour. Nous avions dans le sang le vice dont les incidens du Midi ont été comme l’éruption, comme la manifestation à la peau. Parce que la récolte du vin, naturellement ou par artifice, s’est révélée trop abondante, et sa vente trop difficile ou trop peu rémunératrice, le premier venu se fait « rédempteur » et, un moment, se ferait, s’il le voulait, empereur ; l’autorité établie s’abolit, de nouvelles autorités surgissent, l’opinion s’emporte, dérive et tourne en boussole affolée, trois départemens se fédèrent, la vie municipale est supprimée, la vie sociale suspendue, la vie nationale troublée et inquiète. Un énorme abcès, irrité au point qu’il y faut porter le fer et le feu, couvre toute une province.

Nul doute : c’est l’anarchie, sous la pire de ses formes, cette espèce d’anarchie sourde, lente et dormante, qui, s’insinuant par-