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Mandrin ne répondit pas.

« — N’est-il pas vrai, reprit M. de Chevannes, que vous avez là de quoi faire des aumônes ?

« — Ne me le répétez pas une troisième fois, » dit Mandrin, en regardant M. de Chevannes « avec des yeux foudroyans. »

Celui-ci se tut ; il se recula modestement au second rang et, sans qu’on prît garde à lui, il se retira.

Comme le maire voulait faire compter et peser l’argent :

« — Il n’est pas besoin, dit Mandrin. Vous êtes d’honnêtes gens. Je m’en rapporte à votre droiture. Vous ne voudriez pas me tromper. »

Il mit une partie de l’or dans sa ceinture, le reste dans son gousset ; il confia les sacs d’écus à l’un de ses lieutenans ; puis, demandant du papier et une plume :

« — Je dois vous faire une quittance. Les fermiers généraux ne tiendraient pas compte aux receveurs, si je ne donnais un reçu. »

Et, « mettant un genou en terre, » il écrivit le billet suivant :

« Je, soussigné, Louis Mandrin, reconnais avoir reçu de MM. de Saint-Félix et Estienne, entreposeurs des Fermes dans la ville de Beaune, la somme de 20 000 livres dont MM. les Fermiers généraux leur tiendront compte, pour des ballots de tabac que j’ai déposés chez l’entreposeur de Seurre. A Beaune, 18 décembre 1754.

Signé : Louis MANDRIN. »


Cependant les contrebandiers, qui s’étaient répandus dans la ville, n’avaient pas laissé d’y commettre des excès. Une bonne vieille vint dire au capitaine que ses hommes lui avaient pillé ses effets. Et Mandrin de lui remettre cent vingt livres que la pauvre femme reçut en lui baisant les mains et avec des larmes de reconnaissance. L’horloger Midot, qui tenait un magasin de poudre à feu, se plaignit d’avoir été « butiné » par les compagnons ; Mandrin le fit rentrer en possession de tout ce qu’on lui avait pris. Il fit payer largement tous les cabaretiers et, à quatre heures moins le quart, il donna le signal du départ. Rendu à sa belle humeur par le bon vin de M. le maire, le jeune « capitaine, » en se mettant en selle, le salua de son chapeau et ceux qui se tenaient auprès de lui ;