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de son vivant même, a passionné si vivement l’opinion contemporaine, l’auteur des Pensées, l’auteur des Provinciales surtout, a eu dans sa vie une « faiblesse » nullement condamnable, j’en conviens, — mais qui peut prêter à des commentaires malicieux, ou même malveillans ; et personne ne s’en avise, personne n’en parle ! Les Jésuites, qui savent tout, qui sont partout, qui s’insinuent partout, et qui n’ont pas toujours, — voyez le P. Rapin, — tous les scrupules de délicatesse que l’on voudrait, — les Jésuites ne relèvent pas cette histoire et ne cherchent pas à l’exploiter ! Quelle admirable charité chrétienne est la leur ! Charité d’autant plus inattendue de leur part que l’un des leurs, pour répondre aux Provinciales, s’était bien déjà permis d’insinuer « que le secrétaire de Port-Royal avait donné de justes sujets de croire qu’il n’était pas si chaste que Joseph, et que, s’il n’avait pas été dépouillé d’une autre façon que ce patriarche, peut-être il n’aurait pas fait tant d’invectives contre les casuistes, de ce qu’ils n’obligent pas les femmes à restituer à ceux qu’elles ont dévalisés par leurs cajoleries. » Ils s’en sont tenus là. Et Voltaire, Voltaire, l’ennemi personnel de Pascal et de Bossuet, Voltaire, qui s’écrie quelque part : « Va, va, Pascal, tu as un chapitre sur les prophéties où il n’y a pas l’ombre de bon sens, attends, attends ! » — Voltaire qui a si bien su dénicher et lancer la légende du mariage de Bossuet, et, pour Pascal, celle de l’abîme et celle de l’accident du pont de Neuilly, Voltaire qui sait tant de choses d’original, Voltaire lui aussi, ne trouve rien, à dire là-dessus ! Cela n’est-il pas paradoxal et invraisemblable[1] ?

Dira-t-on peut-être qu’un fait d’ordre aussi intime, il est tout naturel que Pascal l’ait gardé en quelque sorte pour lui seul, ou du moins qu’il n’ait pas franchi le cercle étroit de la famille et des amis les plus sûrs ? Mais, précisément, Pascal n’aurait pu le garder entièrement pour lui, et c’est à notre avis se méprendre du tout au tout sur la psychologie du grand écrivain que de l’admettre. Passionné comme nous le connaissons, si Pascal avait

  1. Me permettra-t-on de faire observer que cet argument de simple bon sens pourrait suffire, à lui tout seul, à ruiner la thèse que soutient, depuis quelques mois, en de retentissans articles, M. Félix Mathieu, à propos de l’expérience du Puy-de-Dôme, et que nous voyons de jour en jour s’effriter pièce par pièce ? — on trouvera sur cette question, dans le livre de M. Strowski, de nouveaux détails et des faits décisifs. — Si Pascal avait été, ainsi qu’on le prétend, un plagiaire et un faussaire, cela se saurait de longue date, et les ennemis de Pascal n’auraient pas attendu M. Félix Mathieu pour nous l’apprendre.